
Israël autorise depuis dimanche l’acheminement d’aide humanitaire par les airs à Gaza. Plusieurs pays larguent des dizaines de tonnes de vivres par avion auprès d’une population menacée par la famine. Cette aide peut-elle soulager les Gazaouis ? Décryptage avec l’ancien président d’Action contre la faim, Pierre Micheletti.
Sous pression internationale, l’État hébreu a permis l’entrée de 120 camions d’aide sur le territoire. L’accès humanitaire par voie terrestre demeurant toutefois très limité, plusieurs pays ont choisi de passer par les airs.
Le Royaume-Uni, la Belgique, l’Allemagne, la France, les Émirats arabes unis et la Jordanie ont déjà largué – ou vont larguer – par avion des dizaines de tonnes d’aide humanitaire sur Gaza. Paris doit ainsi acheminer 40 tonnes d’aide à partir de vendredi 1er août.
Il s’agit de répondre à une situation d’une gravité inédite : la bande de Gaza est désormais menacée d’une "famine généralisée", selon l’ONU.
Cette méthode suscite l’inquiétude de plusieurs voix du secteur humanitaire. Pierre Micheletti, médecin, ancien président d’Action contre la faim et de Médecins du monde, fait le point pour France 24.
France 24 : Le volume total d’aide livrée depuis dimanche – par avion et par camion – est-il insuffisant ?
Pierre Micheletti : Il faut être honnête sur cette réalité. Nous nous trouvons face à un "gap" volumétrique considérable. Avant les événements dramatiques d’octobre 2023 et la guerre qui embrase Gaza depuis, entre 500 et 600 camions entraient quotidiennement à Gaza. Rappelons qu’ils ne contenaient pas uniquement des denrées alimentaires, mais aussi des médicaments et d’autres produits indispensables.
Aujourd’hui, on annonce une centaine de camions par voie terrestre, en plus des quelques largages aériens. On voit bien qu’on n’est pas du tout sur le rétablissement des flux antérieurs.
Quand on examine les envois aériens, toutes origines confondues, la question est : vont-ils atteindre une volumétrie suffisante pour nourrir deux millions de personnes, assez vite, face à l’urgence actuelle ? J’en doute.
Et on ne parle ici que du volume d’aide brut qui parvient sur le territoire. Lutter contre la famine, ce n’est pas juste compter des avions et des camions d’aide alimentaire : c’est veiller à la mise en œuvre effective des quatre composantes de la sécurité alimentaire, dont la disponibilité que je viens d’évoquer. (...)
est-ce que la population civile, selon son état de faiblesse, son état de dénutrition, ses moyens de locomotion, va pouvoir aller à la rencontre de ces colis ? Il y a une question d’accès géographique – selon où les gens se trouvent – mais aussi un accès financier.
Un marché noir fleurit sur le territoire, et il risque d’être renforcé par le largage aérien. En effet, si cette nourriture distribuée gratuitement entre dans un circuit de marché noir, est-ce que la population aura les moyens de l’acquérir ?
Cette question se pose d’autant plus pour les plus pauvres – et on peut penser que sur les deux millions de survivants à Gaza, peu sont dans une situation financière favorable.
Il y a aussi le risque lié à la précision nécessaire de ces envois aériens. Comment éviter des accidents s’ils tombent sur des zones densément peuplées ? C’est un danger que j’ai pu constater sur d’autres territoires, comme au Soudan du Sud.
Troisième pilier, troisième faille : l’utilisabilité. Même si des gens parviennent à rentrer chez eux avec quelques kilos de farine, encore faut-il pouvoir la cuisiner – avoir des gamelles, du combustible, de l’eau potable, et préparer la nourriture dans des conditions qui ne créent pas de diarrhées catastrophiques. Les gens étant en déplacement constant, ils ne se déplacent pas forcément avec gamelles, carburant et eau potable.
Quatrième pilier : la stabilité dans le temps. On peut se demander si ces largages sont un effet d’annonce éphémère ou si on va instaurer l’équivalent d’un véritable pont aérien.
Autre enjeu : trouver les moyens logistiques et sécuritaires pour que les zones d’atterrissage ne deviennent pas le théâtre de violences entre les populations, qui sont dans des logiques de survie. (...)
Je ne veux pas être excessivement critique, car ces largages aériens sont absolument nécessaires. Mais attention à une logique qui serait purement de "marketing humanitaire" ou purement cosmétique, qui consisterait à dire : "De quoi vous plaignez-vous ? La nourriture est larguée sur le terrain !" C’est bien plus complexe que cela dans la pratique.
Sans parler des Gazaouis les plus vulnérables : les malades, les enfants très dénutris dont la prise en charge nécessite une nutrition par sonde gastrique, ou parentérale, par perfusion. Assister ces populations blessées, malades, d’enfants très dénutris doit relever d’un processus de réalimentation médicalisé. Or, présentement, nous en sommes très loin.
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"Des employés d’UG Solutions à Gaza utilisent des munitions non létales et létales de façon non autorisée. Et des gens sont blessés... Des Palestiniens sont blessés", affirme-t-il. (...)
Anthony Aguilar se souvient ainsi de plusieurs accidents sur des lieux de distribution. "Une grenade assourdissante a été jetée dans la foule, à côté d’une femme palestinienne qui était avec son paquet d’aide humanitaire. Elle attendait pour mettre ses provisions dans un sac pour pouvoir partir", raconte-t-il.
"Les balles étaient tirées aux pieds"
"Et là, un employé d’UG Solutions a tiré une grenade assourdissante. Lorsqu’elle a explosé, le morceau en métal du haut de la grenade a atteint cette femme à la tête. Elle était inconsciente. Elle était sans vie, elle ne bougeait plus. Elle a ensuite été mise sur une charrette tirée par un âne par une autre femme qui était avec elle. Et elle a été sortie du site." France 24 n’a pas pu vérifier indépendamment le sort de cette civile.
Une autre fois, "des contractuels ont ouvert le feu", poursuit-il. "Les balles étaient tirées aux pieds, au-dessus des têtes et directement dans la foule des Palestiniens qui partaient." (...)
Amnesty International
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