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Le « chaos » de l’« alliance brun-rouge » : face à la censure, l’éditocratie en roue libre
#journalisme #editocratie
Article mis en ligne le 9 décembre 2024
dernière modification le 7 décembre 2024

Face à la censure du gouvernement, l’éditocratie joue son rôle traditionnel de gardien de l’ordre. Après avoir passé des mois à caresser le Rassemblement national dans le sens du poil, salué pour sa capacité à « raisonnablement » négocier avec la droite gouvernementale sans que cette dernière n’ait à justifier en quoi que ce soit ce positionnement politique, les professionnels du commentaire rejouent subitement une posture traditionnellement à l’œuvre lors des entre-deux-tours : le « cercle de la raison » face aux « populistes » et aux « extrêmes ».

« Comment la censure du gouvernement actuel pourrait-elle être autre chose qu’un malheur ? » Quelques jours avant la chute de Michel Barnier, cette sentence du Figaro (2/12) reflétait l’état d’esprit de bon nombre de chefferies médiatiques. Et c’est peu dire qu’elles l’ont fait savoir. (...)

Lesquels déclinent leur mantra sur tous les tons : « Une censure et le chaos », titre par exemple en Une La Nouvelle République (5/12).

« Fracas, échecs, déprime » : l’annonce du chaos économique

Dans les studios, les mines déconfites des journalistes économiques se succèdent. Lunettes embuées sur le nez, François Lenglet donne le ton : « Je suis inquiet. Vraiment inquiet », lance-t-il d’emblée, sans renoncer pour autant à sa combativité : « On est dans un déni de réalité collectif. […] On espère échapper à cette vérité simple : il n’y aura pas de rétablissement financier, il n’y aura pas de redressement de la France sans une refonte profonde du modèle social. Vérité qui finira d’ailleurs par s’imposer ! » (RTL, 5/12) « Vite, la crise ! » réclamait d’ailleurs L’Opinion la veille, rejouant le tristement célèbre duo Antenne 2 - Libération de 1984. L’illustre Nicolas Beytout était évidemment à la manœuvre : « Seul un choc violent pourra rompre cet enchaînement fatal, alors il reste à espérer qu’arrive vite la crise. La vraie, celle qui fera prendre conscience aux Français qu’aucun des scénarios envisagés aujourd’hui ne suffira pour redresser le pays. Celle qui donnera une chance de rebondir sur une nouvelle politique, seule à même de remettre la France sur de bons rails. » (4/12) Souhaiter ouvertement « un choc violent » et une « vraie crise » pour le pays : voilà à quoi mène l’intégrisme de marché de cette éditocratie qui s’estime pourtant rationnelle, raisonnable, nuancée et responsable ! (...)

Les jours précédant le vote de la motion de censure, les bataillons du groupe de Rodolphe Saadé étaient eux aussi en ordre de marche pour distiller la peur : « Au total, rien que sur l’impôt sur le revenu, les Français paieraient 3 milliards d’impôts sur le revenu en plus si on reconduisait le budget 2024 ! » alertait par exemple Emmanuel Lechypre (RMC, 3/12), tandis que sur BFM-TV, Nicolas Doze dissertait sur « le prix de la censure » (...)

il poussait l’hypocrisie au point de regretter les mesures qu’il conspuait la veille : « Les hauts revenus qui devaient être taxés ne seront pas taxés, les grandes entreprises qui devaient être taxées à l’IS ne seront pas taxées. » (3/12) Mauvaise foi, outrances et surtout reproduction servile de la communication gouvernementale : l’éditocratie dans ce qu’elle sait faire de pire.

Dans la même veine, Les Échos fustigent « les mariés du 4 décembre » (5/12) : « Jean-Luc Mélenchon, Marine Le Pen unis, sans projet, sans alternative, sans sens des responsabilités », accusés de « sacrifier la stabilité économique, budgétaire et fiscale » ; le journal osant – comme Le Point – faire un parallèle… avec « le 10 juillet 1940 », lorsque « 569 parlementaires - de gauche comme de droite - avaient signé l’arrêt de mort de la IIIe République » en votant les pleins pouvoir à Pétain ! En charge de l’édito de Ouest-France post-censure, le journaliste économique Patrice Moyon s’indigne lui aussi d’un « baiser de la mort » et ressasse le catéchisme (...)

Même tonalité dans Le Monde (4/12), où Françoise Fressoz semble avoir du mal à atterrir face à ce qu’elle qualifie de « funeste engrenage » et de « sidérante » « plongée dans l’inconnu » (...)

À l’antenne de France Inter, deux jours après avoir mis en garde contre une « censure destructrice » (3/12), Dominique Seux a le moral dans les chaussettes : « Pourquoi ce qui est possible avec les JO et Notre-Dame – du collectif, de la réussite ! – pourquoi est-ce impossible sur la scène politique et budgétaire où tout est fracas, échecs, déprime ? » (France Inter, 5/12)

De concert, Cyril Hanouna joue les Cassandre pendant dix minutes en continu devant une assemblée religieusement à l’écoute (...)

Qu’on se rassure néanmoins : reprenant mot pour mot un gros titre des Échos, France 2 adresse un satisfecit à la « résistance » du CAC40… On n’en attendait pas moins du service public. (...)

De « l’alliance des extrêmes » au « gaucho-lepénisme »

S’ils n’évacuent pas la responsabilité d’Emmanuel Macron dans la conjoncture politique, les présentateurs et leurs collègues des services politiques savent en revanche où concentrer leur morgue. (...)

Au matin du vote de la motion de censure, les grands intervieweurs engageaient d’ailleurs leurs dernières forces dans la bataille : les cadres du RN faisaient alors le plein d’invitations – sur France Inter, France 2, BFM-TV et RMC, par exemple – face à des matinaliers recrachant mot pour mot les éléments de langage du gouvernement. (...)

Une posture très en vogue dans les rédactions, qui dit en creux l’espoir que fondait l’éditocratie dans un RN campé en « parti de l’ordre », auquel elle n’avait de fait plus grand-chose à reprocher… La Dépêche résume bien cette petite musique : « [Le RN] a commis une grave faute politique en ratant le dernier virage de la respectabilité : il a préféré la censure à la mesure. » (4/12) Hormis ce petit « loupé » donc, RAS sur le terrain de la « respectabilité » ! Même aveu, même déception du côté du Parisien (...)

Spectaculaire.

Mais le bilan est somme toute ordinaire : à la faveur d’une défiguration permanente du réel, triomphe partout un journalisme de parti pris et de commentaire qui se fantasme conseiller le prince. En l’occurrence, deux jours durant, un déballage de pronostics sur le futur Premier ministre – forcément de droite –, rejoué par les commentateurs en écho au rouleau compresseur qui, il y a quelques mois seulement, veillait à faire oublier les résultats des élections législatives... (...)