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« Le discours de la crise de la masculinité véhicule souvent les mêmes faussetés »
#masculinite #masculinisme #feminisme
Article mis en ligne le 25 juillet 2025
dernière modification le 18 juillet 2025

Début juillet, à Saint-Étienne, un projet d’attentat masculiniste d’un adolescent qui voulait tuer des femmes a été déjoué. Francis Dupuis-Déri, spécialiste de cette idéologie violente, analyse cette menace.

Francis Dupuis-Déri est un chercheur franco-canadien, professeur à l’université du Québec, à Montréal (UQAM). Il s’intéresse notamment aux mouvements antiféminismes et au masculinisme.

Il est l’auteur de plusieurs ouvrages, notamment La crise de la masculinité ; autopsie d’un mythe tenace (Editions du remue-ménage & Points, 2018) et Althusser assassin, la banalité du mâle (Editions du remue-ménage, 2023), et a codirigéAntiféminismes et masculinismes d’hier à aujourd’hui (PUF, 2019).

Voxeurop : Qu’est ce que la masculinité ?

Francis Dupuis-Déri : La « masculinité » est une représentation, un modèle, et je dirais même une référence idéologique, toujours pensée consciemment ou inconsciemment dans un rapport hiérarchique inégalitaire avec la féminité.
Couverture d’un livre bleu avec un dessin de tête d’homme
La crise de la masculinité. Autopsie d’un mythe tenace
Publié en 2018, aux éditions remue ménage

Il n’y a pas de pensée de la masculinité sans pensée de la féminité, il n’y a pas de masculin sans féminin. Pourtant, depuis quelques années, on se questionne beaucoup sur la masculinité, mais le plus souvent de manière déconnectée de la féminité. Or, que ce soit implicitement ou explicitement, la masculinité est présentée et perçue comme supérieure à la féminité, en termes de rationalité (les hommes seraient plus rationnels que les femmes, jugées trop émotives), de capacité d’action et de création (les femmes sont plus passives, dit-on), d’autonomie (les femmes seraient plus dépendantes), de force, d’agressivité et de violence (les femmes seraient plus douces, pacifiques, bienveillantes).

Tout cela est une construction idéologique, fondée sur des stéréotypes puisés dans des textes religieux ou de la vulgarisation scientifique, simpliste et souvent fallacieuse, au sujet d’une préhistoire fantasmée, d’un déterminisme supposé des gènes ou des hormones, mais cela a néanmoins un impact sur le réel, sur la socialisation, sur les attentes qu’on se fait des gens, de nous-mêmes, etc.

Comment définir cette soi-disant « crise de la masculinité » ?

Comme je l’explique dans La crise de la masculinité, c’est un discours qu’on entend depuis au moins l’Antiquité romaine en Europe, et aujourd’hui partout sur la planète, et qui laisse entendre que les hommes vont très mal à cause des femmes qui prendraient trop de place, qui prendraient “notre” place d’homme, et à cause des féministes qui nous critiqueraient méchamment … L’homme serait une victime des femmes, et la solution serait de revaloriser une masculinité conventionnelle, qui aurait été malmenée par la féminisation de la société.

Le discours de la crise de la masculinité a toujours pour effet de justifier une distinction forte entre le masculin et le féminin, et de valoriser le masculin conventionnel tout en discréditant le désir ou la volonté des femmes d’être libres et égales aux hommes. Il est bien important de noter que ce discours victimaire des hommes peut s’exprimer quel que soit le régime politique, juridique (y compris le droit de la famille et du travail), économique et quel que soit la culture et la religion dominante.

Ce discours peut aussi s’exprimer dans les pays les plus pauvres ou les plus riches. (...)
L’antiféminisme “masculiniste” se fonde sur l’idée d’une crise de la masculinité pour justifier le respect de rôles genrés et d’une division sexuelle du travail. L’antiféminisme d’extrême droite croise le masculinisme, le suprémacisme blanc et la xénophobie, au nom de la défense de la famille, pilier de la nation.

L’antiféminisme de gauche, ou anticapitaliste, répète depuis des générations que les enjeux des femmes sont secondaires, et que les féministes devraient se fondre dans un mouvement de masse ou un parti unifié pour combattre le patronat et le capitalisme, et qu’elles ne doivent surtout pas critiquer le sexisme et les violences sexuelles dans les organisations progressistes, puisque ça divise les forces… (...)

le discours de la crise de la masculinité est ancien et il véhicule souvent les mêmes faussetés de génération en génération. Des recherches menées en parallèle sur différents pays ont aussi montré que le masculinisme est fortement mobilisé depuis longtemps pour décrédibiliser les analyses et les mobilisations féministes contre les violences masculines, que ce soit au Québec, en Espagne ou en France (voir L’antiféminisme et le masculinisme d’hier à aujourd’hui, 2018).

Le masculinisme, ou discours de la crise de la masculinité, a été dès le début un des piliers de la propagande du fascisme italien puis du nazisme (...)

Aujourd’hui encore, l’extrême droite participe au masculinisme, y compris sur le web, comme le révèlent bien des études. Des polémistes d’extrême droite en France comme Alain Soral et Eric Zemmour ont chacun signé des livres masculinistes (...)

Les anti-féministes avancent souvent masqués, c’est-à-dire en niant être antiféministes, préférant jouer le jeu de la division entre bonnes et mauvaises féministes. On dira donc que le féminisme est « allé trop loin », qu’on en veut surtout aux « néoféministes » radicales ou extrémistes. Mais quand on essaie de comprendre à qui on fait référence, on réalise que c’est finalement à peu près toutes les féministes d’aujourd’hui qui sont dénigrées…

Le discours victimaire des masculinistes laisse entendre que le féminisme d’aujourd’hui impose à la société un véritable « totalitarisme », et que les hommes ne peuvent plus rien dire, qu’ils sont victimes d’un sexisme anti-hommes. (...)

On prétend toujours que les féministes « castrent » les hommes, mais en réalité elles n’en font rien, contrairement aux vrais nazis qui torturaient leurs victimes… Ce qu’il faut retenir, finalement, c’est que les antiféministes rivalisent d’insultes outrancières pour diaboliser les féministes et les présenter comme une terrible menace comparable aux pires catastrophes politiques du XXe siècle, alors que – je le répète – ce mouvement féministe est tout à fait modéré, considérant la situation des femmes dans l’Histoire, et encore aujourd’hui.