
Sur scène, une marionnette géante est renversée et détruite. Le personnage symbolise la Banque mondiale, le Fonds monétaire international, l’Organisation mondiale du commerce et, surtout, la dette des pays du Sud envers le Nord global. Cela se déroule lors de l’inauguration du 3ᵉ Forum Global Nyéléni, le 8 septembre, à l’Institut national de développement coopératif de Kandy, au Sri Lanka. Dans l’auditorium, la délégation sri-lankaise fait face à l’énorme marionnette de la même manière que la population sri-lankaise s’était levée lors des manifestations massives de 2022. Les décennies pendant lesquelles le pays a été piégé dans un cycle de dette dû aux prêts étrangers et aux politiques néolibérales ont conduit à une crise économique sans précédent. En mai de cette année-là, la nation s’est déclarée en faillite. L’Aragalaya (cingalais : « La lutte ») a révélé une profonde déception populaire envers les élites au pouvoir et a appelé à une révision radicale du modèle de développement du pays.
(...) 700 délégué·es de 100 pays, dont plus de 60 % de femmes
Le Forum Global Nyéléni s’est tenu au Mali en 2007 et en 2015. Il a été nommé d’après une légendaire paysanne malienne devenue l’un des symboles de la souveraineté alimentaire, un paradigme qui s’oppose au modèle de production alimentaire mondialisé dominé par les grandes entreprises transnationales et qui, à la place, mise sur le renforcement des économies locales.
Cette année, il a réuni des représentant·es de plus de 80 mouvements sociaux venus des quatre coins du monde, ainsi que des organisations comme le Conseil International des Traités Indiens (CITI), le Forum Mondial des Pêcheurs, le Mouvement pour la Santé des Peuples, la Fédération Internationale des Mouvements d’Adultes Catholiques Ruraux, l’Association des Agriculteurs de l’État de Karnataka, la Marche Mondiale des Femmes, Les Amis de la Terre International, le Réseau des Agriculteurs et Producteurs d’Afrique de l’Ouest, RIPESS, et La Vía Campesina (LVC) elle-même.
À travers des débats, présentations, ateliers et groupes de travail, il a été question de « construire une vision politique unifiée » face au « système capitaliste dominant, patriarcal, impérialiste, colonialiste, raciste, de castes et suprémaciste ».
C’est la première année où plus de 60 % des plus de 700 délégué·es de 100 pays présents au Forum étaient des femmes et des personnes de genre divers. De plus, un tiers des délégué·es a 35 ans ou moins. (...)
Ainsi, le mouvement pour la souveraineté alimentaire présent au Forum ne s’est pas limité au noyau initial formé par les producteur·rices alimentaires à petite échelle— agriculteur·rices, pêcheur·euses, éleveur·euses, Peuples Autochtones et travailleurs du monde ruraul — mais s’est également étendu aux mouvements féministes et climat, aux personnes migrantes et racialisées, aux consommateur·rices conscient·es, aux chercheur·es et aux artistes.
À travers débats, présentations, ateliers et groupes de travail, il a été question de « construire une vision politique unifiée » face au « système capitaliste dominant, patriarcal, impérialiste, colonialiste, raciste, de castes et suprémaciste », avec la rédaction de deux documents politiques : la Déclaration de Kandy et l’Agenda Politique Commun. Ce dernier, dont le lancement officiel est prévu pour le Sommet des Peuples en route vers la COP30 au Brésil, s’articule autour de six axes : construire et défendre la démocratie et les droits du peuple, obtenir la paix et la solidarité internationaliste ; construire des économies populaires ; parvenir à la souveraineté alimentaire et à l’agroécologie ; garantir la santé pour tou·tes ; et atteindre la justice climatique et la souveraineté énergétique. (...)
La Déclaration de Kandy, lue le 13 septembre lors de la cérémonie de clôture du Forum, inclut parmi ses prochaines actions des initiatives comme une journée mondiale de mobilisation contre l’impérialisme, le génocide, la guerre et l’utilisation de la faim comme arme, ainsi que des sessions de dialogue avec les mouvements syndicaux, entre autres.
Les dialogues de l’Assemblée ont mis le féminisme au centre de la transformation systémique
Selon Mpofu pour El Salto, « la devise du Forum est ‘la transformation systémique, c’est maintenant ou jamais’ car nous avons assez parlé et il faut passer à l’action ! ». De leur côté, les représentant·es des Peuples Autochtones de toutes les régions du monde se sont également réunis avant l’inauguration du Forum pour partager leurs perspectives. Pour Saúl Vicente Vázquez, du CITI, « il n’y aura pas de transformation systémique sans prendre en compte la vision des Peuples Autochtones, qui est fondamentalement l’antithèse du capitalisme ».
La Palestine, très présente lors du Forum (...)
À la grande frustration des participant·es, le gouvernement sri-lankais a retiré soudainement son soutien à la marche après l’avoir initialement accepté. La raison officielle était que les délégué·es étrangèr·es ne pouvaient pas manifester dans le pays en raison des restrictions de leur visa. Finalement, seuls les participant·es sri-lankais·es ont marché hors du campus et, à leur retour, ont rejoint l’action de solidarité des délégations internationales. Chants et déclarations dans des dizaines de langues différentes réclamaient la liberté pour la Palestine. Mais leurs pancartes, œuvres d’art et messages, initialement prévus pour être montrés dans les rues de Kandy, n’ont pas quitté le campus.
Le lendemain, les membres du Comité de Pilotage Global du Forum ont donné des explications : « Pour des raisons de sécurité du comité directeur du Sri Lanka, des délégué·es et des organisations locales qui ont travaillé dur pour rendre ce Forum possible, la décision des organisations coordonnant le processus a été de se conformer à la demande et d’éviter la fermeture ou, pire, la suspension du Forum ». Selon le communiqué de presse du Forum, « une pression externe a été exercée pour arrêter cette action. Tout cela confirme à quel point ce moment est puissant et à quel point le capital se sent menacé par notre présence dans cet espace ». Un goût amer-doux pour un mouvement de mouvements face à une marionnette spectaculaire. Mais cette fois, la feuille de route pour la renverser est plus claire.