
Noam Chomsky (95 ans), célèbre dissident et père de la linguistique moderne, considéré comme l’un des intellectuels majeurs de notre monde, récupère d’une crise cardiaque subie à l’âge de 94 ans et vit à présent avec nous au Brésil. Selon une information publiée le 2 juillet par Amy Goodman de Democracy Now, il a reçu personnellement au mois de juin la visite du président brésilien Lula, qui lui a tenu la main en lui disant « vous êtes l’une des personnes qui a le plus influencé ma vie, » rencontre à laquelle Vijay Prashad co-auteur avec Noam Chomsky de The Withdrawal (The New Press), a personnellement assisté.
En effet, Noam Chomsky est reconnu comme l’un des intellectuels les plus influents du 21ème siècle.
La vidéo d’un entretien avec Chomsky, antérieur à son attaque, conduit à l’université d’Arizona, est extraordinairement contemporaine et inspirante, avec un message puissant : Que nous réserve le futur, Q&R avec Noam Chomsky reçu par Lori Poloni-Staudinger, doyenne de l’école de sciences comportementales et professeur à l’école de gouvernement et politiques publiques de l’université d’Arizona. (...)
Le présent article est un résumé de certaines réponses de Chomsky aux questions et comprend des faits cités par des tirs, concernant ses déclarations sur les deux plus grands risques pour la survie de l’humanité.
Qu’est-ce que le futur nous réserve ?
Question : géopolitique, unipolaire contre multipolaire
Chomsky : D’abord, deux crises vont déterminer s’il est pertinent de se préoccuper de la géopolitique du futur : (1) la menace de guerre nucléaire (2) la crise climatique.
« Si la crise climatique n’est pas prise en mains dans les années qui viennent, la société humaine est essentiellement finie. Tout le reste est sans intérêt, tant que ces crises ne sont pas traitées. »
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Chomsky sur le pouvoir dans le monde : Actuellement, le centre de pouvoir mondial, qu’il soit unipolaire ou multipolaire, fait beaucoup parler de lui. Les racines de cette question remontent à la fin de la deuxième guerre mondiale, lorsque les Etats-Unis ont établi un pouvoir mondial écrasant. Mais à présent, l’Ukraine divise le monde, la plupart des pays hors l’UE, les USA et leurs alliés demandant une solution diplomatique. Mais la position des USA est que la guerre doit continuer pour affaiblir gravement la Russie.
Donc, l’Ukraine divise le monde et cela se révèle dans un cadre opposant l’unipolaire au multipolaire. (...)
Dans le même temps, le reste du monde s’efforce de développer un monde multipolaire avec plusieurs secteurs de pouvoir indépendants. Les pays du BRICS Brésil, Russie, Inde, Chine, Indonésie, Afrique du Sud, veulent leur propre source de pouvoir indépendante. Il s’agit de 40% de l’économie mondiale, indépendante des sanctions américaines et du dollar américain.
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Question— Les sociétés multinationales auront-elles trop de pouvoir et d’influence ?
Chomsky suggère de les examiner dès à présent…
Les multinationales basées aux Etats-Unis détiennent environ la moitié de la richesse du monde. Elles occupent la première ou la seconde place dans chaque domaine, comme l’industrie et la distribution, rien ne s’en approche. Il s’agit d’un pouvoir extraordinaire.
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Question de la menace de guerre nucléaire : La Russie a suspendu le traité START sur les armes nucléaires qui la lie aux Etats-Unis, à quel point est-ce important quant à la menace de guerre nucléaire ?
Chomsky : C’est très significatif. Il s’agit du dernier traité de contrôle des armes nucléaires qui subsiste, le nouveau traité START. Trump l’a quasiment abrogé. Le traité devait expirer en février quand Biden a repris la main pour en étendre la durée, ce qu’il a fait.
Rappelons-nous que les Etats-Unis ont été à la manœuvre pour créer un régime qui atténue quelque peu la menace de guerre nucléaire, qui signifierait « la guerre finale ».
Nous parlons beaucoup trop légèrement de la guerre nucléaire. Il ne peut pas y avoir de guerre nucléaire. Si cela se produit, nous sommes tous fichus. C’est pourquoi l’horloge du jugement dernier est placée à 90 secondes avant minuit, le plus proche qu’elle ait jamais été.
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Les deux parties ont déjà bien plus d’armes nucléaires que nécessaire. Un seul sous-marin nucléaire Trident peut détruire deux cents villes de par le monde. Et les emplacements terrestres des missiles nucléaires sont connus des deux côtés. Donc, en cas de menace ils seraient frappés immédiatement. Ce qui signifie qu’en cas de menace, « mieux vaut les utiliser, lance-les ou tu les perds ». C’est évidemment une situation très délicate, extraordinairement risquée, parce qu’une seule erreur peut s’aggraver très vite.
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Question : La société va-t-elle rassembler la volonté de changement, pour l’équité, la prospérité et la durabilité ?
Chomsky : Il n’y a pas de réponse.
C’est à la population de prendre à bras le corps ces questions et dire que nous n’allons pas avancer vers le précipice et tomber dedans. Mais c’est exactement ce que nos dirigeants nous disent de faire. Voyez la crise environnementale.
Il est bien entendu que nous avons assez de temps pour contrôler le réchauffement de l’environnement, la destruction de l’habitat, la destruction des océans, qui conduiront à une catastrophe totale. Ce n’est pas comme si tout le monde allait mourir tout de suite, mais nous nous dirigeons constamment vers des points de bascule irréversibles. Pour se rendre compte de la gravité de cette situation, il suffit de regarder certaines régions du globe en particulier. (...)
Avec les armes nucléaires, nous avons le même problème qu’avec l’environnement. Si ces deux questions ne sont pas résolues dans un futur assez proche, ce sera terminé. La population doit « avoir la volonté » d’y mettre fin.
Question : Comment rassembler cette volonté ?
Chomsky :
Parlez à vos voisins, participez à des organisations de communauté, rejoignez des groupes de militants, faites pression sur le Congrès, sortez dans la rue au besoin. Comment les choses se sont-elles déroulées dans le passé ?
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Résumé : Chomsky voit un monde en ébullition cherchant à départager la logique unipolaire et la multipolaire, la guerre en Ukraine étant un catalyseur de changement. Pendant ce temps, l’UE supporte tout le poids de son impact. En même temps, les traités nucléaires se sont littéralement dissous face à la situation aux frontières de la Russie et l’UE, avec de nouveaux missiles visant le cœur de la Russie. Parallèlement à ce scénario Russie contre Ouest, potentiellement explosif, le système climatique mondial est mis en péril par les émissions excessives des énergies fossiles, qui augmentent la température mondiale au-delà de la mesure considérée par 195 pays comme zone de danger.
Chomsky voit un monde nerveux, menacé par le risque élevé des armes nucléaires, flanqué par les détériorations incontrôlées des écosystèmes que le réchauffement mondial détruit inexorablement, alors que les températures mondiales atteignent de nouveaux records. Il appelle chacun à agir, faire ce qu’il faut pour modifier la trajectoire de l’armement nucléaire et du changement climatique pour sauver la société. Chomsky a donné plusieurs exemples de petits groupes agissant de concert, qui au fil du temps ont mis en œuvre de sérieuses protestations et obtenu finalement une législation positive.