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Pressenza/Frédérique DAMAI, auteur de « Nowar, 47 jours d’espoir »
Le pacifisme n’a pas de camp
#pacifisme #conflits
Article mis en ligne le 9 novembre 2024
dernière modification le 5 novembre 2024

Trois pièges sont régulièrement tendus aux pacifistes : se prononcer sur des conflits passés, prendre parti dans les conflits actuels, et proposer des solutions pour les conflits en cours.

Se prononcer sur les conflits passés.

Donner un point de vue sur les conflits passés revient à accepter de s’interroger sur des états de fait. On ne peut alors avoir qu’une opinion ou un sentiment, ce qui nous situe bien loin, voire à l’opposé, de toute réflexion. Toutes les guerres procèdent d’une genèse très complexe. En conséquence, se voir sommé de se prononcer sur un résultat final sans avoir pu en influencer la genèse est une injonction assez sibylline.

Nier la genèse et imposer une lecture monocausale des guerres fait d’ailleurs partie de l’arsenal habituel de l’anti-pacifisme (...)

Prendre parti dans les conflits actuels.

On est forcément toujours un peu influencé et piégé par l’histoire de ses affinités et de ses convictions. Et c’est souvent à ce titre que l’on prendra, parfois même à son corps défendant, parti pour tel ou tel camp dans un conflit armé. Cependant, cela remet nécessairement en cause ses convictions pacifistes.

La première raison en est très simple, rationnelle, intellectuelle, donc froide et âprement discutée : prendre parti pour un camp, c’est donner une légitimité à la guerre, ce qui est l’antithèse même du pacifisme.
La seconde est beaucoup plus incarnée et beaucoup plus humaine. Oui, le pacifisme peut avoir un camp : il s’agit de l’empathie pour toutes les victimes innocentes, quel que soit leur camp. Une empathie profonde pour tous ces pauvres gens qui se sont trouvés piégés par des pouvoirs qui les ont enfermés dans cette horreur sans jamais avoir fait le nécessaire pour trouver d’autres solutions. Ces pauvres gens pris au piège de tous ceux qui ne cessent de créer des gouffres entre les peuples – y compris dans la même communauté de vie, dans le même pays – et qui n’ont jamais dépensé la moindre goutte d’énergie pour tenter de créer des ponts.

Et ces pouvoirs là, tous ces pouvoirs qui sont aujourd’hui en guerre, sont les seuls et uniques responsables de ces guerres. (...)

Proposer des solutions pour des conflits en cours ?

Ce n’est pas à ce niveau que le pacifisme peut trouver sa meilleure expression, mais en amont de tout cela. Bien sûr, toutes les actions de revendications de paix, de manifestations pour la paix et toutes autres actions de ce type ne doivent pas être négligées, mais chacun en connaît les limites.

Ce n’est pas vers l’Ukraine, le Proche-Orient, le Yémen, la Somalie, l’Éthiopie et tous ces terrains de guerre actuels que l’action pacifiste fondamentale doit se tourner prioritairement.

En Europe, c’est vers la Moldavie et la Géorgie. La genèse de deux guerres futures y est à l’œuvre. Elle est « programmée » par les faiseurs de guerre. Les Russes avec leurs gros sabots habituels et les occidentaux avec leurs « gueules d’ange » qui ne cessent de jeter de l’huile sur le feu. Oui, les peuples de ces pays sont divisés, mais ils sont disloqués artificiellement par les affidés des deux camps qui ne cessent d’inventer des gouffres. Tout est orienté vers la division, la compétition et la haine entre des groupes. Aucun pont n’est proposé, aucune énergie collaborative n’est valorisée. L’essence des germes de la guerre ne demande qu’à s’enflammer.
Alors ? Qui peut proposer une action pacifiste de fond ?

Ce sont les pacifistes de ces pays qui ont la solution, non pas ceux d’ici qui auront du mal à comprendre tous les niveaux de complexité du contexte, et non pas ceux de la diaspora qui participent le plus souvent à la division. L’aide que le pacifisme peut leur apporter consiste à valoriser ces pacifistes locaux, à leur donner la parole, un porte-voix, une aura, à honorer leurs actions. Malheureusement, la presse occidentale ne s’intéresse qu’aux « pacifistes d’un camp » et, piégée dans la logique des blocs, ne cesse elle-même de jeter de l’huile sur le feu. Elle est fascinée par les discours des pouvoirs et incapable de s’arrêter une seconde sur la vie et le sort des peuples.

Il reste donc des organes de presse spécialisés comme « Pressenza.com » ou des sites Internet de mouvements pacifistes, mais c’est à-peu-près tout. Il y a là un vrai chemin à parcourir. Il est du ressort du pacifisme de rechercher ces femmes, hommes et mouvements de paix locaux et de les aider à se faire connaître. Mais ne cédons pas à la tentation de leur dire ce qu’ils ont à faire, ni comment le faire.

Et ce qui est juste en Europe l’est aussi en Afrique. Cette fois, on peut ajouter la Chine et certains pays arabes aux jeux pervers auxquels se livrent les Russes et les occidentaux. Ce sont aux voix pacifistes africaines de se lever pour éviter ce qui ressemble de plus en plus à la genèse de confrontations guerrières futures sur le dos des peuples africains. C’est à nous, pacifistes d’ici, de les reconnaître, de les relayer, de leur servir de mégaphone.

Et ce qui est juste ici et là, l’est aussi dans le monde entier, partout où les pouvoirs divisent les peuples pour les préparer à s’affronter. (...)

Frédérique DAMAI, auteur de « Nowar, 47 jours d’espoir », Éditions L’Harmattan