
(...) C’est une autopsie méticuleuse de la bête, encore vivante. À la hache et au scalpel. Mais c’est bien plus que cela. C’est une analyse de l’âme de la bête. De sa dimension économique, politique, philosophique et, même, civilisationnelle.
Google, en effet, n’est pas seulement une start-up du numérique désormais omniprésente dans la vie de 5 milliards d’êtres humains. C’est aussi une société qui élabore une vision politique et qui développe une véritable stratégie de conquête du pouvoir. Non seulement elle surveille et contrôle les populations, mais, de plus, elle s’attaque au rôle des États et prétend endiguer les débordements contestataires des populations à l’échelle mondiale. Ce qui la met dans la ligne de mire de la méga-entreprise. D’une méga-entreprise qui réussit le tour de force de se faire payer par ceux qu’elle aliène.
Cerise sur le gâteau, ce livre de Philippe Godard a l’audace de nous transcrire des analyses parfois complexes en un langage simple, compréhensible par le tout soi-disant indépassabilité de la dernière version 2.0 du capitalisme. (...)
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– (Cairn info)
Le pouvoir normatif de Google. Analyse de l’influence du moteur sur les pratiques des éditeurs
(...) Aussitôt que le moteur a été actionné, des mots sont générés, des images, des couleurs : un méta-énoncé. Une multitude d’acteurs, qui n’en sont pas forcément conscients au moment où ils agissent, contribuent à faire de la liste de résultats ce qu’elle est effectivement. Il convient de les répartir en trois catégories : les concepteurs, les utilisateurs et les éditeurs. Les concepteurs ont paramétré l’algorithme et mis au point l’interface, les utilisateurs ont formulé la requête et, enfin, les éditeurs sont ceux qui ont publié les contenus indexés. C’est l’interaction entre ces trois types d’acteurs que Google a vocation à rendre possible (...)
Considéré comme le lieu d’une telle interaction, le moteur Google ne peut pas être présenté sous les traits d’une machine neutre, non humaine, un monstre inorganique et objectif. Il n’y a pas de moteur sans entreprise, et sans les salariés de cette entreprise, les dirigeants, les actionnaires, pas plus qu’il n’y aurait de moteur s’il n’y avait aucun éditeur ni aucun utilisateur. Il n’y a pas de machine sans que des actions soient coordonnées, interprétées, traduites, ni sans négociations, sans choix empiriques. Et il est, en outre, impensable de concevoir un dispositif censé hiérarchiser des documents par ordre de pertinence sans que soient confrontées des postures épistémologiques, cela car aucun procédé dont l’information est l’objet ne peut échapper à la confrontation des subjectivités. Finalement, le moteur ne peut pas être considéré indépendamment de l’action humaine, des représentations et de l’écosystème dans lequel il agit et fait interagir. S’il existe une machine, c’est qu’il y a des machinistes et une machination. (...)
et cette machination dont le moteur est à la fois l’objet et le sujet, l’effet et la cause, on s’aperçoit que Google est une machine à faire (le moteur produit), une machine à faire voir (il montre), une machine à faire dire (il propose) et une machine à faire faire (...)
Comment ne pas imaginer qu’un moteur de recherche concentrant plus de 90 % des parts de marché [8][8]AT Internet, Baromètre des moteurs de recherche, 2014, [en…, et par conséquent susceptible d’apporter un trafic considérable aux éditeurs, influence la manière dont ces derniers prennent la parole sur le Web et donc la parole elle-même ? (...)
il apparaît que le PageRank est un objet dont l’action ne dépend pas seulement de ce qu’ont intérêt à faire et faire faire ses concepteurs, mais aussi de ce que l’algorithme fait et fait faire par lui-même. Le PageRank, considéré comme un actant à part entière, n’est pas simplement un énoncé mais également un énonçant, il n’est pas seulement déterminé mais aussi déterminant. (...)
Le détail de l’algorithme n’étant jamais dévoilé, les éditeurs n’ont pas d’autre choix que de croire sur parole les représentants de Google quand il leur est annoncé que le respect de telle ou telle consigne leur permettra de recevoir davantage de trafic sur leurs pages. C’est ce tout indémêlable entre algorithme et discours à propos de l’algorithme qui génère des effets normatifs, lesquels ne seront pas forcément ceux que les concepteurs du moteur auraient souhaités. (...) (...)