
Trois organisateurs d’une manifestation contre la réforme des retraites, en avril 2023 à Die, étaient convoqués pour avoir dépassé de 15 minutes la durée déclarée et pour avoir pique-niqué. Visiblement agacé par des poursuites injustifiées, le juge les a tous relaxés.
Valence (Drôme).– « S’il y a bien une chose qui peut m’agacer, c’est de perdre du temps avec ce genre de choses », s’emporte le magistrat présidant l’audience au tribunal judiciaire de Valence chargée de juger, jeudi 20 mars, les trois organisateurs d’une manifestation contre la réforme des retraites. Ils étaient poursuivis pour avoir pique-niqué durant celle-ci et pour avoir dépassé d’un quart d’heure l’horaire déclaré en préfecture. (...)
Les faits qui étaient reprochés aux trois militants paraissent en effet étrangement anodins au regard de la procédure engagée. Ceux-ci remontent au 6 avril 2023, alors que la ville de Die connait sa onzième manifestation contre le projet de réforme des retraites portée par la première ministre Élisabeth Borne. Avec à chaque fois quelques centaines de participant·es, ces rassemblements se sont tenus sans incident, comme se tiendra ce nouveau défilé. (...)
Un déroulé de manifestation quasi idéal, pourrait-on penser. Pourtant, dix-huit mois plus tard, les trois organisateurs reçoivent une convocation de la gendarmerie. Celle-ci les informe qu’ils sont convoqués au tribunal judiciaire pour répondre de deux infractions.
« Un terrible pique-nique sauvage »
Ils sont tout d’abord accusés d’avoir « établi une déclaration incomplète ou inexacte de nature à tromper sur l’objet et les conditions d’une manifestation ». En clair, le ministère public leur reproche d’avoir dépassé d’un quart d’heure l’horaire de fin de rassemblement qu’ils avaient indiqué dans leur déclaration de manifestation, 13 heures. Cette infraction peut être punie par une peine maximale de six mois de prison et de 7 500 euros d’amende.
Ils sont ensuite poursuivis pour avoir causé une « entrave à la circulation », « en organisant un pique-nique avec tables et chaises sur la chaussée », une infraction sanctionnée par une peine pouvant aller jusqu’à deux ans d’emprisonnement et 4 500 euros d’amende.
L’absurdité de ces poursuites au regard des faits a frappé jusqu’au représentant du ministère public à l’audience. « Voilà un dossier d’importance qui mobilise notre tribunal, a ironisé le procureur Michel Coste en introduisant ses réquisitions, celui de ces trois redoutables sexagénaires au casier vierge. » (...)
Finalement, le procureur Coste s’en est remis à la clémence du président de l’audience : « Soit le cadre a été respecté, et dans ce cas vous ne pourrez qu’entrer en voie de relaxe. Soit ce cadre n’a pas été respecté, en raison de ce terrible pique-nique sauvage, et dans ce cas, je demanderai une dispense de peine », a-t-il requis.
Dans sa plaidoirie, l’avocat des « 3 de Die », Jean-Yves Dupriez, a insisté sur le caractère pacifique de la manifestation. (...)
La maire de Die, Isabelle Bizouard, dont Dominique Joubert est par ailleurs l’un des adjoints, a fourni une attestation afin de confirmer que la manifestation s’était déroulée dans le calme, sans heurts ni dégradation, et pour redire « son attachement au droit constitutionnel de manifester ».
Jean-Yves Dupriez a par ailleurs pointé la présence d’un « faux » dans le dossier fourni par les gendarmes. En effet, Dominique Joubert, bien qu’organisateur, n’était en réalité même pas présent à la manifestation. (...)
« Cette procédure a un aspect politique : la répression par l’État » du mouvement contre la réforme des retraites, a avancé l’avocat. « Il y a eu une volonté d’éteindre un mouvement contestataire. Et on sait que les gendarmes reçoivent des consignes. Les parquets également. C’est extrêmement regrettable. »
« Vous êtes, magistrats du siège, le dernier rempart, a lancé Jean-Yves Dupriez au président Debrun. Quand les gendarmes montent un dossier comme celui-ci, que le parquet décide de poursuivre, il ne reste plus que vous. »
« Vous êtes tous relaxés, vous pouvez partir », a annoncé sans surprise ce dernier aux « 3 de Die » après une courte interruption d’audience, déclenchant les applaudissements de la dizaine de personnes venues les soutenir.