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« Affaire Théo » : un contrôle matraque au poing
#violencespolicieres #affaireTheo
Article mis en ligne le 16 janvier 2024

Les circonstances de la grave blessure infligée à Théodore Luhaka lors d’un contrôle de police en février 2017 sont examinées en ce moment même par la cour d’assises de Bobigny. Les audiences, qui ont repris ce lundi pour une seconde semaine, permettent de saisir précisément le moment des faits : à la base, un banal contrôle d’identité d’un groupe de jeunes par une brigade spécialisée dans les interventions de terrain.

Il est arrivé matraque télescopique au poing. C’est un des rares points sur lesquels partie civile et accusés se rejoignent. Sur le reste, le procès des trois policiers qui ont gravement blessé Théodore Luhaka, 22 ans, lors d’un contrôle d’identité à Aulnay-sous-Bois le 2 février 2017, semble dérouler deux visions des faits irréconciliables.

Du côté de la victime, on soutient que ce jour-là les policiers sont arrivés tendus, agressifs même - l’un d’eux aurait giflé le plus jeune du groupe de garçons contrôlés, provoquant l’escalade. Les fonctionnaires mis en cause, eux, parlent de jeunes « récalcitrants » et de situation « hostile ». Un classique du genre, inévitable ici étant donné que le début de la scène n’a pas été filmé. Quoiqu’il en soit, Marc-Antoine C., le principal accusé, l’admet : il portait bien son arme à sa main droite en allant à leur rencontre. (...)

Une salle, face à face

Dès l’ouverture de l’audience - mardi dernier, pour deux semaines -, la partition de la salle en deux camps raconte à elle seule la dimension politique du dossier.

À gauche, la partie civile représente les intérêts de la victime : Antoine Vey, pénaliste renommé (et ex-associé du ministre Éric Dupont-Moretti) et Philippe-Henry Honegger (déjà vu sur plusieurs affaires de violences policières) se relaient pour interroger les prévenus. Derrière eux, Théodore Luhaka, 29 ans désormais, est entouré de sa famille et de ses proches, venus en nombre. Comme souvent dans ces dossiers, des figures du mouvement contre les violences policières ont pris place dans la salle d’audience, en soutien pour également relayer les échos du procès sur les réseaux sociaux : dans la salle des pas perdus, on croise Assa Traoré, Mouna Merzouk ou encore Michel Zecler.

Amal Bentounsi, dont le frère Amine a été tué d’une balle dans le dos par un policier en 2012, est également là. C’est dans cette même salle d’assises que la cour avait acquitté son meurtrier en 2016. L’avocat général Loïc Pageot, réputé pour instruire sévèrement les affaires mettant en cause des policiers, était déjà là. Il se murmure d’ailleurs aux coupures que le parquetier aurait décalé son départ à la retraite pour faire ce dernier grand procès d’assises. (...)

À droite, sur les bancs côté défense, on repère d’autres spécialistes. Le très médiatique Arnaud de Montbrial, connu pour ses positions droitières et héraut de la légitime défense, est venu avec sa sécurité privée. Avec son associé Me Louis Cailliez, l’avocat défend Marc-Antoine C.. Son client se présente comme un « simple Pinot ». Gardien de la paix dégarni, il demande aux jurés de prendre en compte les « difficultés » de son métier.

C’est lui qui a porté les coups de matraque à Théodore Luhaka, provoquant le déchirement du sphincter anal du jeune homme sur dix centimètres, ce qui lui vaut des séquelles permanentes. (...)

Légitimité de la violence

« Pour moi, j’ai juste fait mon travail. » Cette phrase, prononcée par un des accusés, résume à elle seule la stratégie de la défense. Ses avocats l’ont d’ailleurs martelé : selon eux, ce procès n’aurait même pas dû se tenir. (...)

Pendant quatre jours - les quatre premiers du procès, la semaine dernière -, des policiers se sont relayé à la barre avec la même constance de récit : les membres de l’IGPN évoquent ainsi une interpellation « très difficile » mais « réglementaire ». « Dans le cadre ». Tous parlent de fonctionnaires « sincères », appuyant sur les circonstances. Une seule voix dissonante note des fautes graves : d’après Jean-François Ligout, un commissaire chargé de traquer les manquements professionnels et déontologiques dans le cadre de la procédure disciplinaire, les fameux « coups d’estoc » ayant provoqué la blessure anale représentent bien « un usage disproportionné de la force ». Car « rien ne les justifiait à ce moment-là ». (...)

D’autres éléments interrogent : aucun des jeunes gens contrôlés ce jour-là n’avait de drogue ou d’arme sur lui, ni commis un quelconque acte répréhensible justifiant une telle interpellation. Et l’examen attentif des vidéos révèle que Théodore Luhaka a reçu plusieurs coups alors qu’il était déjà menotté et gravement blessé.

Dans ce dossier, les prévenus risquent jusqu’à quinze ans de prison.

Un contexte de tension policière récurrente (...)

Jeudi, au troisième jour de ce procès (qui doit en durer neuf), un témoin offre à la cour un contre-champ du récit policier. Keidy C., 28 ans, qui a grandi à Aulnay, connaît Théo Luhaka depuis l’enfance. La présidente Caroline Jadis-Pomeau lui demande s’il a déjà eu « des problèmes » avec la police. « Je suis désolé de vous le dire comme ça, explique le témoin d’une voix posée, mais c’est un quotidien quand on habite aux 3000. La BST (la brigade spécialisée de terrain, ndlr), ils ne viennent pas pour dire bonjour. » Et l’homme de faire état d’insultes racistes - ces « bamboula » et autres « banania » - proférés au fil des années par des policiers. (...)

Ce harcèlement policier est documenté. En 2017 déjà, une enquête publiée par le Défenseur des droits révélait que les jeunes hommes perçus comme noirs ou arabes ont 20 fois plus de risques d’être contrôlés en France. Parmi ces personnes discriminées, 40% affirment dans cette même étude avoir été tutoyées (contre 16%, pour la population générale), 21% insultées (contre 7%) et 20% brutalisées.

Des rien-du-tout

Une autre étude menée par des chercheurs du CNRS en 2009 à Paris concluait à du « profilage racial » par les agents de police observés. Ces contrôles au faciès créent un sentiment pesant d’injustice dans la jeunesse des quartiers populaires. (...)

« Chasser le bandit », l’imaginaire policier en question (...)