
Montpellier (Hérault).– Elles n’ont jamais vu autant de violence, de dénigrement de leurs combats. Jamais ressenti aussi nettement les vents contraires se déchaîner contre la parole des femmes et des minorités. Et si leur moral est esquinté, la colère des féministes que Mediapart a rencontrées est décuplée face à la libération massive de la parole masculiniste, raciste, homophobe, transphobe.
« C’est le backlash, clairement, on y est », souffle Justine, 27 ans, militante au sein du collectif #NousToutes dans l’Hérault. Ce mot anglais désigne les reculs et la régression qui s’opèrent en réponse aux avancées des droits des femmes et des personnes opprimé·es. « C’est de plus en plus violent. Les hommes, en ce moment, ils se permettent tout ce qu’ils veulent, ils se lâchent... », poursuit la jeune femme.
Mercredi 5 mars, elles sont une dizaine, réunies au bar associatif Le Quartier généreux, à Montpellier, pour préparer la Journée internationale des droits des femmes et accueillir de nouvelles venues au sein du collectif.
(...) Salariées, étudiantes ou en recherche d’emploi, elles ont 20, 30 ou 40 ans. Toutes décrivent une période « flippante », « démoralisante », un climat rance, régressif, agressif. « Vous avez vu ? La marche nocturne du 7 mars va être interdite à Paris ! », se désole l’une d’elles. Cette marche féministe radicale est en effet été interdite par Laurent Nuñez, préfet de police, arguant de risques de « troubles à l’ordre public » en raison de la présence de collectifs de défense des Palestinien·nes. Avant d’être autorisée in extremis vendredi soir.
« Contre la montée du fascisme »
« On est très, très alertées par ces pressions politiques », réagit Emy, militante à Montpellier, révoltée de constater que les personnes qui luttent pour les droits et le bien commun sont de plus en plus présentées comme des menaces. Elle s’alarme d’une « inversion totale » des valeurs et des responsabilités. « On parle de terrorisme pour des écologistes ou des gens qui vont casser un abribus alors que les violences racistes passent crème. Il n’y a plus de repère politique pour personne. » (...)
Aux États-Unis, la formule « Ton corps, mon choix », lancée par un influenceur masculiniste et détournant un slogan féministe, est devenue virale après l’élection de Donald Trump. Justine en a été très secouée : « J’en ai pleuré, littéralement. » (...)
Le 23 novembre, à Paris, la préfecture de police avait autorisé et encadré la participation du groupuscule de femmes identitaires Némésis ainsi que celle du collectif pro-israélien Nous vivrons à la manifestation annuelle contre les violences sexistes et sexuelles. « Ce 8 mars, leur présence est absolument non désirée et on l’a clairement fait savoir, mais Nous vivrons a reçu le soutien de la ministre en charge de l’égalité, Aurore Bergé », raconte Louise, militante du collectif Révolution féministe à Versailles (Yvelines).
« La Macronie attaque frontalement nos luttes parce qu’elles sont féministes et sociales. Leur but est d’imposer des narratifs pseudo-féministes en éliminant certaines revendications – dont celle de la justice sociale – pour recentrer le féminisme sur quelque chose qui serait complètement dépolitisé », poursuit-elle.
Les professionnelles qui œuvrent pour les droits et l’accompagnement des femmes dressent un constat fort ressemblant. « Parler factuellement des violences sexistes et sexuelles passe parfois pour un discours radical, même auprès de certaines femmes ! », s’émeut Fleur Favre, cheffe de service « conjugalité, parentalité, violences » au centre d’information sur les droits des femmes et des familles (CIDFF) de Montpellier. « C’est comme si dire la réalité, documentée, devenait du militantisme. Comme si on devait être gênées d’en parler. Tout ça, je ne le voyais pas avant », poursuit-elle. (...)
Fleur Favre constate qu’à l’inverse, « les propos sexistes sont relatés comme des opinions et la liberté d’expression, brandie par leurs auteurs ». Selon elle, la pensée masculiniste monte particulièrement chez les jeunes « et il faut s’en emparer ». C’est tout le sens du travail de Zoé Piens, animatrice prévention du CIDFF sur les questions d’égalité en milieu scolaire. « Il y a de l’opposition, surtout au niveau lycée, et souvent portée par des garçons. Ils répètent des discours entendus et citent les réseaux sociaux X et TikTok comme sources. »
Lors de ces sessions, la salariée entend nombre de propos rétrogrades, appelant à laisser les femmes « à la maison » ou refusant qu’elles gagnent plus que leur mari. Les filles sont souvent moins bavardes. Certaines s’opposent quand d’autres valident les propos de leurs camarades masculins. (...)
« Les subventions baissent mais nous, on enchaîne et on a du mal à suivre », dit encore Fleur Favre, jugeant les politiques publiques « pas à la hauteur » des enjeux, malgré les belles annonces et les droits des femmes érigés en « grande cause nationale » à deux reprises par Emmanuel Macron. « Du gros bluff », balaie la salariée du CIDFF, qui se désespère aussi « des réponses juridiques pas à la hauteur et de très nombreux classements sans suite aux plaintes pour violences sexistes et sexuelles ».
Chasser le pessimisme et resserrer les rangs sont les mots d’ordre qui viennent conclure l’atelier de confection de pancartes, au bar associatif de Montpellier. (...)