
Au nom de la sécurisation de leurs frontières avec la Russie, les pays Baltes, la Pologne et la Finlande ont annoncé leur volonté de se retirer de la convention interdisant ces mines, qui tuent et blessent en majorité des civils.
Le document de seize pages, qui a influé sur le cours de nombreuses guerres récentes, va-t-il bientôt faire figure de relique ? Ils sont désormais cinq États, tous membres de l’Union européenne, à avoir dit leur intention de se retirer de la convention sur l’interdiction des mines antipersonnel (aussi appelée convention d’Ottawa ou traité d’Ottawa) signée en 1997.
Après la Lettonie, l’Estonie, la Lituanie et la Pologne – dont les ministres de la défense avaient annoncé conjointement à la mi-mars vouloir se retirer de cette convention –, la Finlande a fait de même le 1er avril, par la voix de son président.
Ce traité de désarmement, signé par 133 États dont la France, interdit l’utilisation de ces armes, mais également leur stockage, leur production ou leur transfert. Les États-Unis, la Russie ou encore la Chine ne l’ont jamais signé.
Il avait conduit à des « avancées absolument majeures », rappelle Elliot de Faramond, responsable de plaidoyer à Handicap International : « Il a permis de faire chuter le nombre de victimes de ces armes, qui a été divisé par 10 en quinze ans ; de passer de plus de 99 pays contaminés dans le monde en 1999 à quasiment moitié moins en 2024… » (...)
La décision de s’en retirer constitue « un recul inquiétant » et mettra « inévitablement des vies civiles en danger », a réagi Amnesty International, à l’unisson de nombreuses autres organisations humanitaires et de défense des droits humains.
Les mines antipersonnel, conçues pour se déclencher au passage d’une personne (et non d’un véhicule, comme les mines antivéhicule), ne font par nature pas la différence entre civils et combattants, ni entre un adulte et un enfant. Elles sont largement utilisées dans la guerre en Ukraine – par la Russie mais également par l’Ukraine, qui a pourtant signé la convention les interdisant.
Exemple récent des dégâts qu’elles peuvent causer : la Syrie (...)
Au nom de la menace russe
Les cinq États qui souhaitent aujourd’hui sortir de la convention d’Ottawa estiment qu’elle les empêche de défendre efficacement leurs frontières avec la Russie et son allié, le Bélarus. La Pologne ne cache pas son ambition de construire une véritable ligne fortifiée à sa frontière incluant des tranchées, des « dents de dragon » (installations antichar) en béton et des champs de mines.
« La situation sécuritaire dans notre région s’est fondamentalement détériorée [depuis 1997 – ndlr] », expliquent les ministres de la défense des États baltes et de la Pologne dans leur communiqué conjoint : « Les menaces militaires sur les États membres de l’Otan limitrophes de la Russie et du Bélarus ont considérablement augmenté. »
Dans ce contexte, « il est important de fournir à nos forces de défense la flexibilité et la liberté de choix nécessaires » dans les armes qu’elles voudront employer, détaille à Mediapart le ministère estonien des affaires étrangères, qui ajoute que « la décision formelle de retrait doit encore être prise par le Parlement estonien ».
Mais il y a quelques mois encore, plusieurs de ces pays estimaient que la situation ne justifiait pas d’avoir recours à des mines antipersonnel. (...)
Que s’est-il donc passé pour que ces mêmes États baltes jugent désormais nécessaire de sortir du traité d’Ottawa ? La menace de provocations russes existe mais elle n’a pas significativement évolué depuis le début de la guerre en Ukraine.
« Il n’y a pas de grandes quantités de soldats russes près de nos frontières. Cela n’a pas changé, confirme à Mediapart une source diplomatique balte. Mais si on regarde vers le futur, on doit être préparés à 100 %. La perspective de trois à cinq ans est dangereuse et la menace, de notre point de vue, est là pour durer. »
Le facteur Trump
Il faut probablement y ajouter plusieurs éléments d’explication qui, eux, ne dépendent pas de Moscou : des considérations de politique intérieure, l’arrivée de Donald Trump, et la posture – plutôt passive – des autres signataires de la convention d’Ottawa. (...)
Dernier élément qui a pu pousser Estonie, Lettonie, Lituanie, Pologne et Finlande à franchir le pas : le pari que cette décision ne soulèverait pas d’indignation planétaire, autrement dit que son « coût diplomatique » serait faible. L’absence globale de réaction au retrait de la Lituanie du traité sur les armes à sous-munitions (annoncé en juillet 2024, effectif depuis mars 2025), autre traité important de contrôle des armes, n’est pas passée inaperçue dans les pays Baltes.
De fait, l’annonce de retrait collectif de la convention d’Ottawa n’a pas suscité de désaveu massif chez les autres États signataires. Tout en réaffirmant son « engagement » à respecter le traité interdisant les mines antipersonnel, le Royaume-Uni a dit respecter le « droit souverain de ces pays de prendre cette décision ».
La France, également signataire, et État qui se dit régulièrement attaché à la défense du droit international humanitaire, n’a pas spontanément réagi à cette annonce. Ce n’est qu’interpellé par des communiqués d’ONG et interrogé par la presse, dont Mediapart, que le Quai d’Orsay a fini par prendre une position officielle. « La France demeure pleinement mobilisée en faveur de la mise en œuvre de la convention d’Ottawa », nous a indiqué le ministère des affaires étrangères le 4 avril. Tout en faisant le constat « d’un besoin urgent de réarmer l’Europe », Paris tient « fermement à cet engagement » et l’a « rappelé à [ses] partenaires européens ».
Malheureusement pour la diplomatie française, cette position plutôt claire a été brouillée par un étonnant épisode parlementaire : l’adoption d’un amendement, déposé par une députée Ensemble pour la République (le groupe macroniste à l’Assemblée) supprimant la Commission nationale d’élimination des mines antipersonnel au nom de la « simplification du paysage institutionnel français ». (...)
« On pourrait se dire que finalement, les États qui choisissent d’avoir recours à ces mines peuvent prendre des dispositions pour évacuer les populations, bien identifier les champs de mines et dépolluer une fois la menace passée. Mais, à mon sens, c’est une vision opportuniste et naïve du recours aux mines antipersonnel, et surtout cela ouvre la porte à beaucoup d’autres retraits de conventions internationales et violations du droit international humanitaire », juge Laure de Roucy-Rochegonde, directrice du Centre géopolitique des technologies de l’Ifri, également interrogée par Mediapart. (...)
Le retour aux mines antipersonnel de la part d’États qui se disent en pointe de la lutte pour le droit international est un très mauvais signal, insiste Elliot de Faramond. (...)
« On constate que les pays occidentaux sont prêts à se défaire de leurs obligations juridiques internationales dès qu’ils en ont envie ou ont intérêt à le faire », a jugé la porte-parole du ministère russe des affaires étrangères Maria Zakharova, le 20 mars.