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Mediapart/Éclats de sciences (accès libre)
Les technologies pour faire pleuvoir restent infondées scientifiquement
#eau #pluie #nuages #ensemencement
Article mis en ligne le 12 juin 2024

De plus en plus de pays utilisent l’ensemencement des nuages pour augmenter les précipitations, mais les résultats restent, au mieux, modestes.

Le dimanche 10 mars 2024 à Perpignan, des centaines de croyants ont défilé en procession, invoquant saint Gaudérique pour obtenir de la pluie, selon une tradition millénaire oubliée depuis deux siècles. Le mois suivant, les premières pluies significatives depuis plus de deux ans arrosaient enfin les Pyrénées-Orientales assoiffées, et nombre de processionnaires ont vraisemblablement pensé avoir contribué à ces précipitations. Avec les récentes technologies utilisées pour faire pleuvoir, c’est un peu la même chose, pointe malicieusement Cindy Morris, spécialiste des microbes de l’atmosphère à l’Inrae : ce n’est pas simple de distinguer les coïncidences des relations de cause à effet.

Pourtant, les efforts et la recherche investis par nos sociétés technophiles dans la modification de la météo sont considérables. L’ensemencement des nuages, la principale technique utilisée pour faire pleuvoir, se pratique partout. Plus de 50 pays y ont recours régulièrement, notamment la Chine (qui gère le programme le plus ambitieux du monde, dans lequel elle a injecté au fil des ans plus d’un milliard de dollars), mais aussi les États-Unis, la Russie, l’Inde, l’Afrique du Sud, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis… Et le réchauffement climatique va sans aucun doute accentuer la tendance.

Même en France, l’ensemencement des nuages se pratique sur une base régulière depuis des décennies, bien qu’il s’agisse dans ce cas non pas de faire pleuvoir mais d’atténuer les dégâts de la grêle. Il est piloté par une association, l’Anelfa, qui intervient régulièrement dans une vingtaine de départements. (...)

La technique de l’ensemencement des nuages est du reste loin d’être une nouveauté : elle a été découverte en laboratoire il y a plus de soixante ans par le chimiste américain Vince Schaefer et a été pratiquée pour la première fois d’un avion en novembre 1946 ! « Le principe est irréfutable et bien connu, et sur le papier ou en laboratoire, ça marche », confirme Andrea Flossmann, professeure à l’université Clermont-Auvergne et principale autrice en 2019 d’un rapport produit par l’Organisation météorologique mondiale (OMM) destiné à évaluer cette technologie. (...)

À noter que ces deux techniques supposent l’existence de nuages, autrement dit de petites gouttelettes d’eau liquide flottant dans l’air. Sans nuages, pas de pluie, même avec la meilleure technologie – ce qui questionne d’emblée l’engouement pour l’ensemencement dans les pays désertiques. Et ce qui disculpe la technique de l’accusation d’être responsable des pluies orageuses qui se sont abattues sur Dubaï en avril dernier. Les spécialistes sont unanimes sur le fait de considérer que ces dernières s’expliquent par une humidité exceptionnelle de l’atmosphère, et non une intervention humaine. Il faut en réalité, pour que l’ensemencement fonctionne, des nuages « où règnent déjà des conditions proches de la pluie ou de la neige, et qui n’ont besoin, en quelque sorte, que d’un coup de pouce pour produire des précipitations », explique Andrea Flossmann.

Un bénéfice entre 20 %… et zéro (...)

avec les nuages les plus courants, dits convectifs, formés par l’ascension d’air humide vers les zones froides de l’atmosphère, l’ensemencement demeure une technique à ce jour non prouvée. (...)

Sans compter qu’ensemencer efficacement suppose beaucoup de technicité ; une technicité qui ne cesse d’évoluer, compliquant encore les comparaisons. Il faut en effet être capable d’identifier les nuages où les conditions de l’ensemencement (humidité, température, pénurie de noyaux de condensation…) sont réunies et doser la quantité de noyaux apportée, que ce soit via des avions ou depuis le sol, y compris par des obus d’artillerie, comme cela se pratique en Chine.

Gare aux effets opposés !

Il est même parfaitement possible, si l’on a mal évalué les conditions, et notamment la quantité d’aérosols disponibles, de trop ensemencer, en créant trop de gouttes ou de cristaux dans le nuage ! Dans ce cas, leur taille reste trop petite et cela les empêche de tomber, aboutissant à l’inverse du résultat désiré… C’est d’ailleurs le principe de l’ensemencement anti-grêle (...)

Les incertitudes quant à l’efficacité de l’ensemencement n’empêchent en tout cas pas son expansion, ni une recherche protéiforme de lui être consacrée, tant les opérateurs semblent avoir convaincu de leur efficacité des autorités qui face aux sécheresses ne savent souvent plus à quel saint se vouer. Les Émirats arabes unis financent ainsi depuis 2015 un appel à projets de recherche généreusement doté, qui explore de multiples pistes de perfectionnement. (...)

« Il y a aussi des programmes s’appuyant sur la modélisation et l’intelligence artificielle pour déterminer quels sont les nuages les plus favorables et quel est le meilleur moment d’intervention, poursuit Steve Griffiths, ainsi que des travaux sur l’amélioration des particules, puisque actuellement nous étudions l’idée d’envelopper les cristaux de sel avec du dioxyde de titane… » (...)

Des arguments qui laissent Cindy Morris dubitative. « Certainement, quelques pourcents de pluie en plus peuvent être utiles. Mais il faut réfléchir plus globalement au cycle de l’eau », plaide-t-elle. La chercheuse estime qu’à l’heure où l’on imperméabilise les surfaces à tout-va, où les paysages agricoles sont intensifiés au point que les sols ne laissent plus l’eau s’infiltrer, où des prélèvements hors de contrôle vident les nappes phréatiques, il faut sans doute faire porter la priorité sur ces problèmes, plutôt que de développer des technologies chères, au bénéfice au mieux modeste, qui artificialisent encore plus l’environnement.

D’autant plus que certaines substances employées sont nocives, un aspect rarement discuté à cause des faibles quantités mises en œuvre. (...)

Si l’ensemencement finissait par être employé de manière massive et régulière, l’impact serait sans doute moins anodin que celui des processions dédiées à saint Gaudérique.