Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
MRAP/communiqué, 21 mai 2025
Lettre ouverte : Non à la vente d’objets nazis, non à la banalisation de l’horreur !
#fascisme
Article mis en ligne le 21 mai 2025

Le MRAP dénonce avec la plus vive indignation l’organisation, les 15-16 mai et 26-27 juin 2025, de ventes aux enchères Miltaria à Orléans, au cours desquelles sont proposés à l’achat plus de 200 objets liés au IIIe Reich. Symboles d’une idéologie responsable de la Shoah et de millions de morts, ces derniers ne peuvent être réduits à de simples pièces de collection. Leur mise en vente, même légale, est une offense à la mémoire des victimes et une banalisation inacceptable du nazisme. Face à ce commerce de l’horreur, le MRAP ne saurait rester silencieux et prend la plume pour dénoncer la législation actuelle, permissive et dangereuse.

Un combat ancré dans l’histoire

Fondé en 1949 par d’anciens résistants et déportés juifs, rescapés pour la plupart des camps d’extermination, le MRAP est né face à un constat insupportable : au lendemain de la guerre, la France assiste à une recrudescence violente de l’antisémitisme, laissant inanimée la lutte pour la paix, instaurée depuis 1945. En 2025, croire que ce combat est révolu et que le fanatisme autour de l’idéologie nazie serait mort et enterré revient à fermer les yeux sur le climat de tensions qui traverse actuellement notre pays. La montée de l’antisémitisme, conjuguée à la nostalgie de certains pour l’idéologie nazie, exige une vigilance accrue. Pourtant, la législation actuelle, par sa permissivité, fait preuve d’un aveuglement dangereux. Le Code pénal français, bien qu’il incrimine à ce jour deux comportements liés à la vente d’objets nazis, reste insuffisant face à la gravité des enjeux.

Une législation insuffisante

Le premier de ces comportements, lequel peut faire objet d’une contravention, consiste à exhiber en public, ou à porter, un uniforme, un insigne ou un emblème, rappelant ceux des organisations ou personnes responsables de crimes contre l’Humanité (article R645-1 du Code pénal). Il consiste, selon un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 5 septembre 2023 (n°22-85.540), en la production, de façon ostentatoire, à la vue d’autrui, de l’un des objets énumérés par ce texte, reproduisant, par cette action, les agissements des membres des organisations précitées. Cette incrimination, apparue à la suite du procès de Klaus Barbie, — auquel le MRAP était présent comme partie civile — par un décret n°88-271 du 18 mars 1988, devait permettre d’éviter tout acte qui salirait la mémoire des victimes des atrocités du nazisme. Pourtant, la jurisprudence actuelle en limite la portée, éloignant l’article de son esprit initial.

L’importance de l’interprétation donnée par les tribunaux à cette disposition trouve une illustration frappante dans le litige des années 2000 opposant le MRAP, avec d’autres associations antiracistes, à la société américaine de services web Yahoo !, qui permettait la vente d’objets nazis sur son site d’enchères. Ce contentieux montre que par le passé, les juges avaient sans doute mieux saisi le sens premier de l’infraction prévue à l’article R645-1 du Code pénal.

En témoigne l’arrêt très commenté de la 11e chambre section A, de la Cour d’appel de Paris, en date du 6 avril 2005. Le MRAP s’était constitué partie civile dans cette affaire, considérant déjà à l’époque qu’une vente aux enchères d’objets nazis favorisait en elle-même « la plus grande entreprise de banalisation du nazisme qui soit ». La Cour avait logiquement retenu une position similaire, qui aurait dû être celle des juges du droit par la suite, en affirmant qu’il s’agissait d’ « une offense à la mémoire collective du pays profondément meurtri par les atrocités commises par, et au nom de l’entreprise criminelle nazie, à l’encontre de ses ressortissants et surtout à l’encontre de ses ressortissants de confession juive ». La justice avait finalement ordonné à Yahoo ! d’empêcher l’accès des internautes français à ces contenus, sous peine d’amende.

L’interprétation désormais donnée à l’article précité par la Cour de cassation nous parait priver l’infraction de son but originel, à savoir celui d’empêcher toute renaissance de l’idéologie nazie. Au-delà de cet aspect, l’arrêt précité du 5 septembre 2023 nous apprend également que la publicité en ligne de ces objets pourrait relever de l’apologie de crimes contre l’humanité. Ce second comportement constitue un délit, prévu par l’alinéa 5 de l’article 24 de la loi sur la liberté de la presse du 29 juillet 1881. Il vise à prévenir la résurgence de troubles sociaux graves, comme ceux engendrés par l’idéologie nazie. Bien que contestée au regard de la liberté d’expression (article 10 de la Convention européenne des droits de l’Homme), cette infraction est conforme au droit, la Cour européenne des Droits de l’Homme ayant jugé, dans l’arrêt Lehideux et Isorni c. France du 23 septembre 1998, que « la justification d’une politique pro nazie ne saurait bénéficier de la protection de l’article 10 ».

L’analyse de ces textes montre une lacune criante, que le MRAP dénonce avec force : ce n’est pas seulement la publicité des objets nazis qui doit être condamnée, mais leur vente elle-même. Dans le cadre légal actuel, seuls l’exhibition publique de ces objets (article R645-1 du Code pénal), ainsi que l’apologie des crimes qu’ils représentent, (article 24, loi de 1881) sont sanctionnés. Face à la résurgence de l’antisémitisme en France, le législateur doit agir pour interdire purement et simplement le commerce de tels objets.

Un commerce indigne

Consciente des critiques légitimes que ses ventes allaient susciter, la Commissaire-priseuse d’Orléans, Maître Solibieda, a pris le soin d’affirmer dans La République du Centre que ces objets, bien que sensibles, « racontent quelque chose encore aujourd’hui ». Si le MRAP ne conteste pas la valeur historique de ces artefacts, il n’en tire absolument pas la même conclusion. Loin de préserver la mémoire de tels événements, pour que plus jamais ils ne puissent se produire, ces transactions, souvent réalisées à bas prix (20 euros en moyenne), au profit de collectionneurs privés, de manière non transparente, risquent d’alimenter un fanatisme malsain et de raviver la nostalgie d’une idéologie criminelle. Dans un contexte de montée de l’antisémitisme, de telles ventes menacent la cohésion sociale et insultent les victimes du nazisme. Le MRAP s’engage sans relâche dans le devoir de mémoire. Ces objets appartiennent à des musées, comme le Mémorial de la Shoah, pas à un marché spéculatif qui bafoue l’histoire.

Pour une loi contre la vente d’objets nazis

Le MRAP appelle le législateur français à adopter une loi interdisant la vente d’objets liés au nazisme ou à d’autres auteurs de crimes contre l’Humanité. Une proposition de loi en ce sens, enregistrée à la Présidence du Sénat le 5 novembre 2014, prévoyait d’insérer un article 431-22 au Code pénal, punissant de six mois d’emprisonnement et 7 500 euros d’amende la commercialisation d’uniformes, insignes ou emblèmes de ce type, avec des peines doublées pour les ventes en ligne. Des exceptions, comme celles de l’article R645-1 pour les besoins artistiques, étaient incluses.

Cette proposition de loi était justifiée par un devoir de mémoire et de vigilance « à l’égard de toute tentative de réhabilitation, de célébration, ou tout simplement de banalisation des crimes qui ont été commis, et de l’organisation qui les a planifiés. » Bien que la proposition n’ait pas abouti, elle reste une réponse essentielle pour lutter efficacement contre la banalisation du nazisme. Face à la montée de l’antisémitisme et aux ventes scandaleuses organisées à Orléans, qui sont une insulte à la mémoire des victimes du régime nazi, le MRAP exige l’adoption urgente d’une loi similaire. Une telle interdiction de vente est indispensable pour empêcher que ces objets ne tombent entre de mauvaises mains. Car nous ne le savons que trop bien : « le ventre est encore fécond d’où a surgi la bête immonde ».