
La guerre à Gaza a débuté le 7 octobre 2023. Il y a sept mois. Elle est passée, tout comme les guerres au Yémen, en Ukraine et même au Soudan, du côté des guerres qui durent, qui font partie du paysage désormais ordinaire de l’actualité. Des morts, des bombes… on ne porte plus trop attention aux détails. Pourtant, comme l’occupation des campus au Canada et aux États-Unis le montre bien ces dernières semaines, Gaza fait partie de ces guerres où l’opinion publique compte. Elle est tout ce qui peut aujourd’hui faire pencher la balance, face aux enjeux géopolitiques et économiques immenses.
L’opinion publique est un vigile et doit rester attentive, même quand on est tentés de détourner le regard, quand Goliath écrase David. Au risque d’être du mauvais côté de l’histoire. (...)
Gaza est un territoire entouré de clôtures et de murs construits par Israël entre 2002 et 2021. Le 9 octobre 2023, à la suite des attaques du Hamas en Israël, celui-ci a ordonné un blocus total sur la bande de Gaza. Rien ni personne n’entre ou ne sort depuis, ni carburant, ni électricité, ni eau, ni biens essentiels. Le seul point d’entrée et de sortie qui demeure est au sud, à Rafah, à la frontière avec l’Égypte ; c’est le seul endroit où Israël autorise l’entrée de l’assistance humanitaire (on parle de fournitures médicales, de nourriture pour la population civile et du personnel humanitaire), au compte-gouttes. Le 28 mars 2024, la Cour internationale de justice a admis que la famine et l’inanition se propageaient à Gaza et ordonné une action urgente de la part d’Israël. Sans résultat.
Israël a, depuis le début de la guerre, rasé les villes de ce territoire palestinien. Des attaques ont été menées directement ou de manière indiscriminée contre les écoles, les hôpitaux, les appartements, les maisons, les universités, les mosquées et même les personnes civiles. Plus de 60 % des installations civiles ont été détruites. Même les États-Unis ont dénoncé (non sans continuer de financer et d’armer Israël) les bombardements aveugles et l’insuffisance de l’assistance humanitaire permise par Israël.
Depuis plusieurs mois, plus de la moitié des 2,1 millions de Palestiniens survivant dans la bande de Gaza s’étaient entassés à Rafah, ville coincée entre la frontière — fermée — avec l’Égypte et le reste de Gaza, rasée. (...)
Une ville bombardée, continuellement, sans répit, mais la seule où l’armée n’était pas encore entrée. L’assistance humanitaire qui y parvenait était très largement insuffisante.
C’était une situation insoutenable, inhumaine. À Rafah surpeuplée, mais aussi dans toutes les autres villes de la bande de Gaza, en grande partie détruites et où l’assistance humanitaire se rendait encore plus difficilement, au regard de son insuffisance et en l’absence d’autres accès au territoire et de corridors sécuritaires pour l’acheminer.
Israël avait annoncé, il y a plusieurs semaines, son intention d’entrer à Rafah avec ses troupes pour « compléter l’éradication du Hamas ». La communauté internationale, y compris l’Occident, avait dit à Israël qu’il s’agissait d’une ligne rouge à ne pas franchir. Il n’y avait aucune chance que l’entrée des troupes israéliennes à Rafah n’ait pas de conséquences tragiques, catastrophiques, je ne trouve pas de mot assez fort. Nous y sommes pourtant. (...)
Ce qui se passe cette semaine dans la bande de Gaza, même si c’est noyé dans le paysage désormais habituel de cette guerre, n’est vraiment pas banal. La semaine dernière, le Hamas a accepté la proposition de cessez-le-feu proposée par l’Égypte et le Qatar. Pas Israël. Le jour même, les forces armées israéliennes sont plutôt entrées dans la ville de Rafah. Elles ont aussitôt bloqué le seul point d’entrée et de sortie de la bande de Gaza pour l’assistance humanitaire. Un immense mouvement de population, qui ne représente toutefois qu’une fraction des personnes s’étant réfugiées à Rafah depuis des mois, s’est alors mis en branle pour la fuir. Même s’il n’y a littéralement nulle part où aller.
Gaza polarise. « C’est délicat », « c’est complexe », on n’ose pas. Mais il faut aujourd’hui avoir le courage. Il ne s’agit pas ici d’être pro-Israël ou pro-Palestine et de camper sur nos positions respectives. Celles et ceux qui survivent actuellement à Gaza, ceux et celles qui sont morts aussi, sont des personnes, des êtres humains.
Nous avons décidé, comme humanité, notamment par le biais du droit international, que de tels massacres n’étaient pas permis, que la famine comme arme de guerre était inadmissible, que la destruction de tout et de toutes n’était pas un moyen légal de se faire la guerre, que personne, pas même un État souverain, ne pouvait vider et raser un territoire. Nous nous sommes mordu les doigts pour les massacres coloniaux, l’Holocauste, le génocide au Rwanda. Nous nous sommes levés pour dénoncer la torture à Guantánamo et les crimes de guerre en Syrie et en Ukraine.
Ce qui se passe à Gaza, et la façon dont ça se passe depuis des mois, n’est pas acceptable. Nonobstant le Hamas, nonobstant les attaques du 7 octobre : parce que ce n’est pas comme ça qu’on fait la justice ni la paix. (...)
Levons-nous, élevons notre humanité pour l’affirmer ensemble, au-delà des divisions politiques. Soyons les vigiles que nous nous devons d’être, ayons aujourd’hui le courage de regarder Gaza, ses enfants, ses femmes et ses hommes, et d’affirmer bien haut que ce n’est pas la tournure que nous voulons donner à l’histoire.