
Il y a un paradoxe à poser la question de l’appétence pour l’actualité, s’agissant de journalistes en activité. L’actualité est au cœur de la matière sur laquelle travaillent les rédactions. Et pourtant, le rapport des jeunes journalistes à celle-ci n’est pas uniforme, et fait même débat. C’est l’un des constats qui s’impose au regard de deux enquêtes croisées, réalisées en France[1] et en Belgique[2].
Le débat oppose celles et ceux, devenus minoritaires, qui restent motivés, en premier chef, par le traitement de l’actualité, et ceux qui expriment tout un nuancier d’attitudes de mise à distance, voire d’évitement de celle-ci. Cette mise à distance révèle une conception de l’information et du journalisme, sans doute pour partie générationnelle. Les jeunes journalistes ne situent plus forcément les enjeux majeurs de « l’actu », là où les situaient leurs aînés. Ce constat fait écho au rapport qu’entretient cette génération aux institutions, comme au politique, traditionnellement domaine de légitimité par excellence pour la profession. Un rapport qu’exprime bien la jeune journaliste Salomé Saqué dans son essai Sois jeune et tais-toi[3].
(...) Les « mordus d’actualité » sont pourtant devenus minoritaires chez les jeunes journalistes. Mais de quoi parlent ceux qui la critiquent ou la rejettent ? (...)
L’une des principales critiques vis-à-vis de « l’actu », notamment dans son appellation « hard news », concerne les risques pris à l’égard de la fiabilité d’une information, diffusée trop rapidement. Cette préoccupation interroge le rôle du journaliste et des médias à l’heure des fake news, tout particulièrement pour une génération très sensibilisée à ce sujet[4]. D’aucuns estiment que l’actualité conduit à une course folle avec ou derrière les réseaux sociaux. La question est adressée à tous les médias, y compris ceux du service public (...)
Aux yeux de ces jeunes journalistes, ceux à qui revient un rôle de référence du vérifié, voire de fact-checking, acceptent une prise de risque délétère. Ce que souligne la défiance du public[5], à laquelle ils sont extrêmement sensibles. (...)
Les modalités de traitement de l’actualité, particulièrement lorsqu’il s’agit du flux, de « la news », viennent butter sur ce qui paraît constituer le cœur des motivations ou du sens du journalisme pour les jeunes praticiens, soit disposer de temps pour produire une information « utile », aux gens, à la société (...)
Un autre thème fait débat, celui d’une vaine prétention des médias à l’exhaustivité. Les jeunes journalistes sont sceptiques à l’idée même d’embrasser, à un moment donné, dans un format donné, le monde dans sa globalité. Cette prétention rimerait d’abord avec une forme de superficialité. Elle aurait surtout le défaut d’ignorer, voire d’occulter les grilles de lectures implicites, les critères qui sont à l’œuvre, de fait, dans les choix opérés (...)
Là, pourrait bien s’exprimer le signe d’une génération qui serait encore plus convaincue, que les précédentes, que le journaliste parle toujours de quelque part, d’un milieu, d’un contexte, d’une subjectivité.
Mettre à distance ou critiquer les modalités contemporaines de traitement de l’actualité conduit, pour eux, à exprimer l’enjeu d’un journalisme qui pratiquerait une forme de « pas de côté ». Plutôt que de subir le flot des nouvelles, le travail valorisé est celui qui reposerait sur le choix, afin d’identifier les sujets porteurs de sens, importants pour elles et ceux qui vont les recevoir (toujours la notion d’utilité), plutôt que cette prétention à l’exhaustivité, perçue comme superficielle, redondante, génératrice d’infobésité et de passivité pour un public désorienté. (...)
Ce « pas de côté » passe par le terrain – unanimement plébiscité – à l’opposé d’un « journalisme assis », exécré, et qu’ils subissent pour la plupart. Le terrain, seul moyen pour que s’opère cet échange avec « les gens », y compris les plus ordinaires, en les respectant, à contrario des interviews « à l’arrache », réalisés dans des conditions prédéfinies par des hiérarchies bouffies de préjugés, à l’égard « des gens » (gilets jaunes, migrants, habitants des quartiers, etc.). C’est en tout cas ce que suggère, pour la France, la multiplication des collectifs de journalistes, adeptes d’une « pige choisie » (...)
Et si c’était une chance pour les médias et l’information ? (...)
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