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Club de Mediapart/ YVES FAUCOUP Chroniqueur social
Maintien de l’ordre sur l’A69 : une guerre d’usure
#A69 #ZAD #resistances #agressions #repression #LDH
Article mis en ligne le 27 septembre 2024
dernière modification le 26 septembre 2024

Une commission d’enquête de la Ligue des droits de l’homme rend compte de la façon dont les autorités publiques, au profit d’une société privée, ont assuré le maintien de l’ordre sur l’autoroute A69, dans le Tarn : avec de nombreuses atteintes aux droits humains, selon une stratégie de l’attrition, faite de harcèlements, d’insultes et de maltraitances.

La Ligue des droits de l’homme (LDH), section de Toulouse, a mis en place une commission d’enquête sur les opérations de police et de gendarmerie contre les opposants à l’A69 dans le Tarn (chantier de l’autoroute Toulouse-Castres), comme elle l’avait fait après la mort de Rémi Fraisse à Sivens en 2014 (dans le Tarn également).

La LDH est par ailleurs partenaire de l’Observatoire toulousain des pratiques policières (OPP), créé en 2017 par des militants de la LDH, de la fondation Copernic et du SAF (syndicats des avocats de France). L’OPP a publié déjà 4 rapports sur ses observations lors de plus de 250 manifestations.

La commission d’enquête, elle, rend compte d’atteintes aux droits humains à partir des observations et du recueil de divers témoignages (y compris émanant de journalistes). La concession de l’A69 est assurée par une filiale de la société de travaux publics NGE, Atosca, qui procède à la construction et assurera également l’exploitation du péage.

30 entretiens ont été menés sur site ou en visio, ou recueillis par courrier. Des membres de la LDH et de l’OPP ont rejoint la commission d’enquête, et des avocats bénévoles ont appuyé les travaux de la commission sur les aspects juridiques. Certains témoins sollicités redoutaient dans un premier temps d’avoir affaire à des policiers, traumatisés par ce qui est arrivé à un « père de famille qui est sorti du commissariat avec trois fractures au visage après un interrogatoire ».
(...)

Le rapport de 88 pages ne se contente pas de livrer des témoignages, il vise à montrer de quelle façon le pouvoir organise la répression à l’encontre des écologistes et à comprendre pourquoi des jeunes s’engagent dans le combat pour la défense du vivant (les arbres, dans le cas de l’A69). L’État cherche à criminaliser la désobéissance civile écologiste. Pour étouffer toute contestation, les autorités politiques ont manifestement choisi une stratégie sur laquelle le rapport de la commission d’enquête met particulièrement l’accent : elle est qualifiée d’attrition, qui consiste à user, raboter, broyer les opposants, c’est-à-dire les harceler, les insulter, les maltraiter, dans le but de faire en sorte que les défenseurs de la nature lâchent prise (...)

Les auteurs du rapport font l’hypothèse qu’il s’agit d’une « expérimentation empirique in vivo » d’une stratégie de siège des "écureuils" (militantes et militants installés dans les arbres pour empêcher l’abattage) par un harcèlement permanent (...)

Un vieil opposant considère que ce sont des méthodes de guerre à l’encontre de civils. Le rapport, à chaque fois, précise le contexte, les lieux, les témoignages. Il décrit les abus et tricheries des forces de l’ordre comme lorsque J. donne un coup d’épaule contre un bouclier ce qui lui vaut, deux mois plus tard, une arrestation à son domicile à 7 heures du matin, violenté (trois fractures au visage, genou fracassé au sol). Il croit à une erreur, mais il est accusé d’avoir renversé le gendarme qui a obtenu 45 jours d’ITT ! J. est condamné à dix mois de prison avec sursis. (...)

capturer coûte que coûte les "écureuils", au risque de les faire chuter. Plusieurs cas sont recensés, dont deux écureuils tombés d’un arbre de 6 mètres, un autre tombé d’une tour de 7 mètres, grièvement blessé, avec 5 vertèbres fracturées.

Par ailleurs, sont décrits des refus de soins (menaces avec des lanceurs Cougar pour empêcher de secourir une personne gravement blessée). Le rapport liste de nombreux cas d’entraves et de violences qui font froid dans le dos, de mensonges aussi quand un gendarme ment effrontément en accusant un observateur (de l’OPP) d’avoir lancer un projectile. Les auteurs se posent la question : face à des comportements si peu républicains des forces de l’ordre (FDO), répondent-ils à des directives de la hiérarchie ? S’il est noté que tous les agents des FDO ne se comportent pas de la même manière, cependant, manifestement, la hiérarchie vise à entretenir un climat de tension. Une milice privée apporte son concours (...)

Cette milice est allée jusqu’à tenter de mettre le feu à une maison (Le Verger) encore occupée par une locataire qui refusait de partir avant la fin de son bail. Un observateur a été aspergé d’essence. La locataire, excédée par deux tentatives d’incendie, par l’arrachage des lignes électriques et coupures d’eau, a fini par céder et s’en est allée. Sur les lieux, des traces de chenilles ont été décelées, ce qui signifie qu’un engin a procédé aux forfaits : on se demande bien d’où il pouvait provenir ! (...)

La commission d’enquête se penche sur ce qu’est la désobéissance civile, violation délibérée de la loi mais, dans le cadre d’une manifestation pacifique, elle relève d’un droit à manifester et à s’exprimer. Le représentant de l’ONU déjà cité avait tenu à rappeler que réprimer cette expression constitue une menace majeure pour les droits humains et la démocratie. En traitant les militants d’ « écoterroristes » ou de « djihadistes verts », termes complaisamment et odieusement repris par des chaines de télé en continu, les représentants de l’Etat criminalise sans vergogne ce mouvement social. Ce n’est pas nouveau : le rapport fait le parallèle avec Sivens, où la guerre d’attrition s’est soldée par la mort de Rémi Fraisse. (...)

Les constats inquiétants faits par la commission d’enquête de la Ligue des droits de l’homme corroborent ce qui a déjà été relevé dans de précédents rapports (...)

cela révèle les reculs flagrants de notre République en matière de maintien de l’ordre depuis une dizaine d’années (loi Travail, Gilets jaunes, luttes environnementales). Une autre commission, parlementaire celle-là, devait se pencher sur ce qui se passe sur le tracé de l’A69 mais la dissolution de l’Assemblée l’a rendue caduque. Quant au préfet du Tarn, il a été déplacé pour protéger le personnel de la préfecture de la hargne de son chien ! Le poste est vacant : qui ordonne aux forces de l’ordre d’exercer un maintien de l’ordre si violent ?

Pour le moment, la contestation reste isolée et n’intéresse pas grand-monde. (...)

On ne peut en toute impunité laisser s’installer, par cette stratégie d’attrition, des méthodes indignes d’une démocratie. (...)

 video : Rapport d’enquête LDH

 Rapport de la commission d’enquête sur les atteintes aux droits lors des opérations de police et de gendarmerie contre les opposant·es à l’A69 en février et mars 2024