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Même convalescent, Donald Trump n’ouvrira pas un livre
#Trump
Article mis en ligne le 22 juillet 2025
dernière modification le 19 juillet 2025

Son état de santé mental était déjà amplement sujet à spéculation. Désormais, le quasi octogénaire est aussi affublé d’une insuffisance veineuse chronique – assez classique à son âge. Mais un autre symptôme, plus constant, éclaire sa présidence sous un jour singulier : son rapport problématique à la lecture, au livre, à la culture écrite en général. Retour sur une hostilité assumée.

Quand la porte-parole de la White House apparaît blème devant la presse, pour annoncer que le POTUS souffre de « lésions tissulaires causées par des poignées de main fréquentes », on a le rire moqueur qui point facilement. Donald Trump, 79 ans, se mettra certainement au régime, portera des bas de contention et plus d’activité physique, afin de se remettre sur pieds. Mais une chose est assurée, il ne prendra pas de repos avec un bouquin entre les mains.
Rien à lire ni envie de le faire

Le paradoxe est cruel. Trump ne lit pas. Mais le monde lit sur lui. Et avec quelle frénésie. Depuis 2016, une avalanche de publications s’est abattue sur son mandat. Biographies critiques, témoignages accablants, journaux de bord de collaborateurs déçus. Il y a eu Michael Wolff, Bob Woodward, Mary Trump, John Bolton, Maggie Haberman. Chaque année, un lot de révélations, d’analyses, de colère imprimée.

Donald Trump brandissant un exemplaire de The Art of the Deal. L’ancien président recommande ce livre (dont il est l’auteur officiel) parmi ses lectures favorites — aux côtés de la Bible. Ironiquement, son ghost-writer Tony Schwartz affirmait : « Je doute sérieusement que Trump ait jamais lu un livre de sa vie d’adulte. » Le ton est donné.

Ce dernier ne s’est jamais caché de lire peu, voire pas du tout (...)

Cette désaffection s’étendait jusqu’aux documents les plus sensibles de la Maison-Blanche. Trump « rarement, voire jamais, ne lit » le briefing quotidien du président, rapportait The Washington Post dès 2018. Préférant les exposés oraux et les notes ultra-synthétiques, il rechignait devant les rapports détaillés. La référence aux briefings officiels laissés de côté nourrit ainsi un doute : ce refus de lire est-il un choix purement stratégique, ou révèle-t-il une incapacité à absorber des informations complexes ? (...)

La question de la capacité cognitive de Donald Trump s’est invitée très tôt dans le débat national. Ses adversaires et même certains proches collaborateurs l’ont décrit comme intellectuellement limité. Dans le brûlot Fire and Fury (2018), Michael Wolff le dépeint en président « semi-lettré », évoluant dans un présent perpétuel dominé par l’instantané télévisuel.

Quelques mois seulement après son investiture, des membres de son propre cabinet le taxent en privé « d’idiot » ou de « crétin ». Face à ces attaques, il se retranchait dans le déni et vantait ses prouesses mentales. Il s’autoproclame « génie très stable » : fait inédit, il exigea en 2018 de passer un test cognitif lors de son examen médical. Verdict : un score parfait de 30/30 au test de dépistage d’Alzheimer, résultat immédiatement brandi comme l’assurance d’un esprit alerte.

Or, qu’un président des États-Unis ressente le besoin de prouver ainsi qu’il sait reconnaître un éléphant ou mémoriser une liste de mots interroge sur le climat de suspicion entourant ses facultés mentales ne dissipe pas les inquiétudes. Au contraire...

Les livres contre lui : un président assiégé par l’imprimé

Par une ironie de l’histoire, si Donald Trump ne lit pas sur le monde, le monde n’a jamais autant écrit sur Donald Trump. Sa présidence a engendré une véritable déferlante éditoriale (...)

Chaque nouvelle parution égratignant le président s’est hissée en tête des ventes, comme si l’imprimé était devenu un champ de bataille où défendre une certaine idée de la vérité. Fidèle à son instinct pugiliste, lui dément les faits rapportés, attaque frontalement les auteurs. Face aux révélations gênantes de Fire and Fury, le président a fustigé un livre « mensonger », traitant son ancien stratège Steve Bannon – principal informateur de l’auteur – d’homme ayant « perdu la raison ».

Surtout, Trump a cherché à museler ces ouvrages par tous les moyens juridiques possibles. Ses avocats ont tenté d’empêcher in extremis la sortie du livre de Wolff, arguant de la « diffamation » et exigeant l’abandon pur et simple de sa publication.
L’effet Streisand ou mégaphone

Quelques années plus tard, c’est le manuscrit explosif de son ex-conseiller John Bolton qu’il fait poursuivre en justice : la Maison-Blanche saisit un tribunal pour bloquer The Room Where It Happened, au motif qu’il contiendrait des informations classifiées. La plainte, déposée à une semaine de la sortie, visait même à confisquer l’avance de 2 millions de dollars versée à Bolton et à faire détruire les exemplaires déjà imprimés. (...)

En parallèle, le frère du président, Robert Trump, a engagé une action pour interdire les mémoires de Mary Trump, invoquant une clause de confidentialité familiale signée vingt ans plus tôt. S’il a obtenu temporairement une injonction, la cour d’appel a rapidement levé l’interdiction, rappelant qu’un éditeur non signataire d’un accord de confidentialité restait protégé par le 1er Amendement.

Pas même les anciens loyaux devenus critiques n’ont été épargnés : Omarosa Manigault Newman fut poursuivie pour avoir violé un accord de non-divulgation, le camp Trump lui réclamant près d’un million de dollars en “dédommagement”.

Ses procès d’intimidation, devenus réflexe, n’ont jamais tenu face à la liberté d’écrire. Le phénomène est inédit par son ampleur : un président américain en exercice s’est retrouvé assiégé – impuissant – par une myriade de livres-enquêtes, transformant les librairies en contre-pouvoir officieux.

Anti-intellectualisme et culture du soupçon

Le succès politique de Donald Trump s’est construit sur le rejet assumé des élites intellectuelles. À ses partisans, il plaît précisément parce qu’il ne parle pas comme un politicien. Son style oratoire est simple, brut de décoffrage, volontiers approximatif — gage, selon eux, d’authenticité. Le POTUS a fait de cette défiance envers le savoir une véritable stratégie populiste, se vantant de savoir mieux que quiconque sur tous les sujets, de l’ISIS aux éoliennes, sans jamais s’encombrer des avis d’experts.

Durant sa campagne, il allait jusqu’à clamer « I love the poorly educated ! » (« J’aime les mal-éduqués »), assumant le fossé avec les diplômés des côtes Est et autres “tordus intellectuels”. Le message est limpide : ne pas trop lire, ne pas trop réfléchir, serait le signe d’une sagesse populaire ancrée dans le bon sens plutôt que dans les théories. (...)

« Ces élites ont en commun qu’elles parlent bien et lisent des livres », note avec ironie l’historienne Susan Jacoby.

Cette glorification de la simplicité a certes une longue histoire, mais a atteint une intensité inédite. (...)

Vous n’écouterez que ma voix

Quand la complexité est rejetée, il ne reste que des vérités alternatives où chacun choisit son camp. Trump, à sa manière, a révélé la fragilité d’une démocratie lorsque la raison et la connaissance cessent d’être des références partagées. (...)

En fin de compte, l’héritage “littéraire” de Donald Trump est un paradoxe à méditer. D’un côté, un président qui ne lit presque rien, campant fièrement dans l’anti-savoir. De l’autre, un volume sans précédent de pages écrites pour décrypter ses faits et gestes, comme autant de remparts contre l’oubli et la désinformation. L’époque est suffisamment fébrile pour qu’un livre puisse être perçu comme un acte de résistance politique.

Et l’homme qui tweetait plus vite que son ombre aura malgré lui redonné du lustre à un média ancestral : l’imprimé. (...)