
Le discours belliqueux de Donald Trump, qui n’exclut désormais pas des opérations au sol et a autorisé la CIA à intervenir dans le pays caribéen, inquiète les autorités au pouvoir. Il soulève aussi des espoirs dans une partie de la société, faute d’alternance possible.
(...) Une armée aux abois
« Je ne veux pas être alarmiste ni semer la terreur chez mes concitoyens, disait le ministre de la défense, Vladimir Padrino López, le 9 octobre, lors du déploiement d’une opération militaire dans l’État de La Guaira. Mais l’irrationalité de l’empire nord-américain est anormale, elle est inhumaine, grossière. » Une façon de justifier le fait qu’il fallait « se préparer » à une intervention car « le temps est venu où [cet empire] ose [les] menacer militairement ».
Le général, qui accompagne Nicolás Maduro depuis son arrivée au pouvoir en 2013, ajoutait qu’il percevait « une grande cohésion chez le peuple vénézuélien, un peuple guerrier ». Comme chez cette milicienne d’une soixantaine d’année, Paola Pirela, qui nous affirme vouloir défendre son terroir et son pays. « S’ils rentrent, dit-elle, ils ne sortiront jamais d’ici. »
Pourtant, les analystes militaires affirment que l’armée vénézuélienne est une coquille vide. Si les hauts gradés sont chouchoutés par le pouvoir, qui s’appuie en grande partie sur eux pour gouverner, les soldats du rang vivent dans la misère, et les équipements sont vieillissants. (...)
« Tout le monde sait que l’armée vénézuélienne, avec l’arsenal qu’elle possède et les soldats qui la composent, ne durerait pas trois jours lors d’une confrontation avec les États-Unis », explique le politiste Carlos A. Romero, professeur retraité de l’institut d’études politiques de l’université centrale du Venezuela. Si ce professeur affirme vouloir « du changement » à la tête de son pays, il rejette fermement toute intervention militaire.
« En premier lieu, ce n’est pas une solution viable sur le plan éthique, développe-t-il. Je crois qu’il y a encore les conditions pour un changement pacifique et consensuel. » Il rappelle, en second lieu, qu’il y a toujours dans le pays 30 % de personnes qui soutiennent le projet du gouvernement, ce qui ouvrirait le risque d’une « guerre civile ». Enfin, conclut-il, « il ne faut pas oublier les exemples historiques malheureux d’invasions américaines ».
Nicolás Maduro s’appuyait sur ces précédents le 15 octobre, en évoquant « ces guerres éternelles ratées d’Afghanistan, d’Iran, d’Irak », et en s’adressant directement à son homologue à Washington, en anglais : « Not war, yes peace », « pas la guerre, la paix ». Ce jour-là, la pression est encore montée d’un cran après que Donald Trump a admis avoir autorisé la CIA à intervenir sur son territoire.
Ceux qui souhaitent l’invasion (...)
Si le spectre d’une invasion étrangère, ou même d’une intervention plus ciblée, inquiète le pouvoir, il fait en revanche fantasmer beaucoup de citoyen·nes vénézuélien·nes qui espèrent une alternance au palais de Miraflores, occupé par la même tendance politique depuis vingt-cinq ans.
« Les Vénézuéliens sont désespérés, ils oscillent en permanence entre la souffrance et la colère, raconte Carlos A. Romero. Être contre l’invasion m’a causé beaucoup de problèmes au sein de ma famille et auprès de mes amis, qui n’imaginent pas d’autre option. » Pour Olga, retraitée, rencontrée dans un quartier cossu de la capitale, « c’est la seule solution ». « Nous sommes allés voter combien de fois ? On vote, on vote, et il ne se passe jamais rien, déplore-t-elle. C’est malheureux, mais l’arrivée des Américains, c’est la seule solution. » (...)
Maria Corina Machado, la très populaire cheffe de file de l’opposition, et désormais lauréate du prix Nobel de la paix, a elle-même longtemps appelé à une intervention étrangère dans son pays. Si l’opposante d’extrême droite avait, en gagnant en popularité ces dernières années, mis de l’eau dans son vin quant à une possible intervention extérieure, elle a clairement fait un appel du pied à Washington en recevant la nouvelle de son prix. (...)
Une invitation à peine voilée à faire tomber « l’organisation criminelle qu’est le régime de Nicolás Maduro », comme elle le qualifiait sur Fox News au mois d’août.
« Ça me désespère que des dirigeants politiques, par démagogie ou par lassitude, se placent du côté d’un tel scénario, confie le politiste Carlos A. Romero. C’est évident qu’ils ne connaissent pas la réalité de la guerre. » Selon lui, le narcotrafic et les cartels sont des prétextes utilisés par l’administration Trump, qui est en réalité beaucoup plus gênée par « la puissance pétrolière et les alliances du Venezuela avec des pays ennemis des États-Unis ».