
Le 30 avril, la journaliste Nassira El Moaddem (Arrêt sur images, ex-i-Télé, ex-France Inter) tweete en réaction à une décision de la Fédération française de football [1] : « Pays de racistes dégénérés. Il n’y a pas d’autres mots. La honte. » Ce qui lui vaut d’être prise pour cible par l’extrême droite sur les réseaux sociaux et de subir menaces et insultes racistes et sexistes. La campagne se déroule ensuite sur les plateaux de la TV Bolloré, qui décuplent le torrent de haine.
Jean-Marc Morandini est le premier à dégainer. Le 1er mai, sur CNews, il introduit le sujet en précisant que ce tweet l’a mis « hors de [lui] », avant de tendre le micro à… Julien Odoul (RN) qui appelle Radio France à la suspendre (alors qu’elle n’y travaille plus) et conclut : « Si elle n’est pas contente, elle se casse. » Problème, comme le révèle Morandini qui s’enorgueillit d’avoir mené l’enquête – une enquête de basse police sur les « origines » de Nassira El Moaddem : « Elle est née dans le Loir-et-Cher, c’est une journaliste française. Ses parents sont marocains, ses parents sont originaires du Maroc. » Courtois avec l’élu RN qui pense comme lui, Jean-Marc Morandini se fait ensuite plus mordant – c’est le moins que l’on puisse dire – avec son autre interlocuteur, Rost, qui se refuse à « condamner » les propos de Nassira El Moaddem, même s’il dit ne pas les reprendre à son compte. (...)
CNews, tout en le dénonçant violemment, montre que le racisme est désormais suffisamment assumé pour qu’on puisse, sur ses plateaux de télévision, se targuer d’avoir vérifié l’ascendance d’une journaliste, ou proposer à cette même journaliste, française mais manifestement pas autant que d’autres, de se « casser ». Il est parfaitement clair que ce sont le nom et les « origines » supposées de son autrice, comme le montre d’ailleurs « l’enquête » aussitôt menée par Morandini, qui le rendent insupportable aux yeux du présentateur de CNews : n’est-ce pas là la définition même du racisme ?
Le soir même, c’est Pascal Praud qui prend le relais – sa thèse : « On va à l’affrontement des communautés » –, avant de remettre ça le lendemain matin (2/05)... L’affaire est évidemment traitée par Cyril Hanouna et sa cour dans « Touche pas à mon poste » (C8), le même jour. Le tweet de Nassira El Moaddem ? « La lie de ce qui peut être fait en journalisme » explique-t-il. C’est un expert qui parle. (...)
« Une affaire désormais tristement banale, qui témoigne de l’interconnexion de la fachosphère et d’une mécanique bien huilée où réseaux sociaux, télévision bollorisée et acteurs politiques – dont le Rassemblement national – jouent la même partition. », écrit à juste titre Libération (2/05). Une affaire qui rappelle la spécificité de la TV Bolloré et de ses têtes d’affiche : se faire les porte-voix de la fachosphère... et « une spécialité de jeter [des individus] en pâture [...], déclenchant contre [eux] des torrents de menaces de morts et d’insultes », ainsi que le documentait Mediapart dans le quatrième épisode de la série « Haine et désinformation : CNews vue de l’intérieur » : « Pascal Praud : l’heure des cibles ». (...)