
Depuis des mois, les 1 900 exilés hébergés dans le centre du Haut-commissariat des Nations unies aux réfugiés (HCR) à Agadez dénoncent leurs conditions de vie et réclament leur réinstallation dans une autre localité du Niger - ou dans un pays tiers. La suspension des distributions de coupons alimentaires au mois de février et l’arrestation de huit résidents la semaine dernière a envenimé une situation déjà très tendue
Ils manifestent quotidiennement depuis 194 jours. Soit un peu plus de six mois. Chaque jour depuis septembre 2024, des dizaines de femmes, d’hommes et d’enfants brandissent des pancartes réclamant de quitter le centre d’Agadez, au Niger, où il se trouvent. Les photos et vidéos sont ensuite diffusées sur les réseaux sociaux, seul moyen qu’ils ont trouvé pour faire entendre leurs voix.
"On ne veut pas rester ici. On veut bien aller n’importe où mais pas rester à Agadez", lâche Armelle*, une Camerounaise d’une trentaine d’années, contactée par InfoMigrants. Cette mère de famille vit dans le centre humanitaire du Haut-commissariat des réfugiés (HCR) situé à une quinzaine de kilomètres d’Agadez, dans le nord du Niger, depuis quatre ans.
Environ 1 900 personnes sont hébergées dans la structure, majoritairement des Soudanais et quelques Camerounais ou Centrafricains - sur une capacité totale de 5 500 places. La plupart de ces exilés ont atterri là après avoir été expulsés en plein désert par les forces algériennes. (...)
"Le processus est extrêmement lent", reconnaît le responsable de l’agence onusienne. "Cela peut durer trois ou quatre ans. Certains attendent une réponse depuis cinq, voire sept ans".
Durant cette longue période, ces demandeurs d’asile, qui n’ont nulle part où aller, patientent donc dans la structure, avec peu de perspectives. Les réfugiés, eux, restent dans le centre, ne parvenant pas à s’insérer dans la société nigérienne.
Armelle a obtenu le statut de réfugiée il y a plusieurs années. Et pourtant, elle n’arrive pas à quitter le site du HCR. "Partir, pour aller où ?", souffle la Camerounaise. La mère de famille a déjà essayé de changer de ville mais les policiers ont mis un coup d’arrêt à son projet. "Ils sont montés dans le bus et m’ont dit de faire demi-tour car je n’avais pas de laissez-passer pour me déplacer. Ma carte de réfugiée n’a rien changé", raconte-t-elle. (...)
Suspension des distributions alimentaires
L’interminable attente des demandeurs d’asile, la difficulté des réfugiés à s’intégrer au Niger rendent la situation dans la structure d’Agadez explosive. Les migrants ont la sensation d’être bloqués dans ce lieu, éloigné de tout, et livrés à eux-mêmes depuis tant d’années.
"Tout est catastrophique ici, on ne peut plus vivre comme ça", confie Daniel*, un autre Camerounais, hébergé à Agadez depuis quatre ans. "On n’a rien à faire, on s’ennuie toute la journée et on ne nous traite pas bien", ajoute ce demandeur d’asile. (...)
L’an dernier, la décision prise par les autorités nigériennes de fermer le centre de soins, géré par une association locale au sein de la structure du HCR, a provoqué la colère des résidents. Et a renforcé leur sentiment d’abandon. "Tu tombes malade, tu te débrouilles", affirme Daniel. Désormais, les migrants doivent parcourir 10 km pour rejoindre, par leurs propres moyens, le premier centre de santé de la région.
"Cette décision a été prise dans un esprit d’intégration [rejoindre des centres hospitaliers publics avec tous les autres Nigériens, ndlr]", signale le représentant du HCR qui précise qu’il s’il y a "une urgence, des ambulances sont à la disposition" des exilés.
Les migrants disent aussi subir le racisme de la population locale, et des intimidations de la part du personnel humanitaire. (...)
La tension est encore montée d’un cran en février après une réunion manquée entre des représentants des autorités nigériennes, des instances internationales et le comité national des réfugiés (collectif qui comprend une quinzaine de résidents du centre d’Agadez). L’entrevue a été écourtée après un conflit sur le lieu où devait se tenir la rencontre.
"En raison d’un esprit de non-coopération [des exilés, ndlr], les autorités nigériennes nous ont demandé de suspendre les distributions de coupons alimentaires. Ce que nous avons fait même si nous pensions que ce n’était pas une bonne solution", indique le chef du HCR au Niger. "Ils nous ont punis", rétorque Daniel.
Ainsi pendant un mois, jusqu’à début mars, les habitants du centre n’ont reçu aucun ticket leur permettant d’acheter des vivres dans les commerces de la région. "On s’est débrouillé grâce à la solidarité. Chacun donnait un peu de nourriture à son voisin. Mais certaines personnes n’ont pas mangé pendant plusieurs jours", signale le Camerounais.
Un nouvel incident, survenu la semaine dernière, tend à crisper un peu plus la situation. Depuis le 25 mars, huit membres du comité national des réfugiés, dont quatre femmes, sont retenus à la gendarmerie d’Agadez. Leur tort ? Avoir contesté la décision du gouvernement de dissoudre les comités nationaux des réfugiés répartis dans les centres du pays.
Un centre sous tension depuis des années (...)
L’ambiance délétère dans ce camp n’est pas nouvelle. Depuis sa création en 2018, la structure d’Agadez voit se répéter les mêmes scènes. En 2020, une centaine de résidents avaient mis le feu au centre, détruisant environ 80% des lieux. Ils protestaient déjà contre leurs conditions de vie, la lenteur du traitement de leur dossier d’asile et réclamaient leur réinstallation dans un autre pays.
Ils avaient été condamnés à de la prison avec sursis par un tribunal d’Agadez. Leur avocat s’était réjoui du verdict mais avait dénoncé leur quotidien dans le centre. (...)
Deux ans plus tard, en mai 2022, un Soudanais est décédé lors d’affrontements entre des exilés et la police nigérienne. Les migrants avaient imputé sa mort à des tirs des policiers mais l’autopsie a révélé que l’homme est décédé des suites d’un trauma crânien qui n’a pas été causé par une balle, selon le HCR.
Pour l’instance onusienne, le problème principal réside dans le fait que les exilés ne "veulent pas" s’intégrer dans la société nigérienne, et attendent une réinstallation qui n’arrivera peut-être jamais. "Leurs griefs, y compris sur l’installation dans un autre État, peuvent être légitimes mais nous n’avons pas les moyens de faire ce qu’ils demandent. En 2025, nous n’avons que 200 places de prévues pour des réinstallations depuis le Niger, essentiellement vers le Canada", signale Emmanuel Gignac. "Il faut aussi dire qu’une partie de cette population refuse de s’insérer".
La Camerounaise Armelle tient à nuancer : "Moi, je peux vivre partout si mes droits ne sont pas bafoués. Ici, on ne nous respecte pas et il n’y a rien pour nous".
Comment renouer le dialogue et trouver une solution pour ces 1 900 personnes ? Le représentant du HCR assure qu’il se rendra "dans les prochains jours" à Agadez "pour tenter à nouveau de [s]’entretenir avec le groupe de manifestants et d’établir un canal d’échange et de communication". Il appelle aussi les exilés à envisager leur avenir au Niger (...)