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Mediapart
Nous, les habitants de Gaza, sommes en train de sortir de l’histoire en temps réel
#israel #palestine #Hamas #Cisjordanie #Gaza
Article mis en ligne le 2 juin 2025
dernière modification le 1er juin 2025

Dans sa nouvelle chronique, la jeune journaliste et poétesse palestinienne Nour Elassy dit sa douleur ainsi que celle de sa génération de penser aujourd’hui à l’impensable : quitter Gaza. Car, en détruisant tous les possibles, Israël a d’ores et déjà réussi son plan d’expulsion forcée.

Gaza (Palestine).– Je n’aurais jamais pensé dire cela un jour, et cela me fait mal de l’admettre, mais je pense sérieusement à quitter Gaza. Le simple fait d’écrire ces mots me remplit d’une honte que je ne peux même pas expliquer.

J’ai été élevée dans l’idée que Gaza n’est pas seulement un lieu, c’est mon âme, mon histoire, mon identité. Je n’ai vu ici que des épreuves enveloppées de sainteté, la guerre enveloppée de chaleur, la destruction entourée d’un sentiment inébranlable d’appartenance.

Et pourtant, après tout ce que nous avons enduré, après les nuits interminables de bombardements, la faim, les déplacements, les corps ensevelis sous les décombres, je laisse maintenant grandir dans mon esprit la pensée suivante : et si je partais ? Et ce n’est pas seulement moi.

Beaucoup d’entre nous, jeunes et brillants, autrefois enracinés si profondément dans cette terre, pensent aujourd’hui à l’impensable. Nous rêvons de construire quelque chose à l’extérieur, car tout ce que nous construisons ici est détruit, physiquement et spirituellement. (...)

j’ai tant donné à ce pays. J’ai étudié, j’ai travaillé, je me suis battue pour être la voix de mon peuple. Je veux travailler avec les Nations unies pour transmettre les témoignages de toutes les âmes écrasées par l’injustice.

Mais comment continuer à porter le poids d’une patrie qui se vide sous mes yeux ?
Nettoyage démographique

Israël a réussi – oui, je le dis, douloureusement et sincèrement – sa stratégie diabolique d’expulsion forcée. Non pas par des camions et des frontières, mais par des traumatismes. En rendant Gaza invivable.

Ils ont transformé les maisons en cibles, les hôpitaux en cimetières, les écoles en ruines. Ils nous ont affamés, déplacés, bombardés encore et encore, jusqu’à ce qu’il ne reste plus que la survie. Ce n’est pas une guerre, c’est un nettoyage démographique, systématique et cruel. Ils ne voulaient pas seulement nous tuer, ils voulaient tuer notre volonté de rester. Et, que Dieu me vienne en aide, ça marche.

Cela fait plus mal que n’importe quel missile, n’importe quelle blessure, de dire ceci : ils nous poussent à partir, et nous commençons à lâcher prise – non pas sur notre amour pour Gaza, jamais cela, mais sur notre conviction que nous pouvons vivre ici, grandir ici, élever nos enfants ici. Et c’est là leur arme ultime : non pas les bombes, mais le désespoir.

Non pas combattus, non pas déplacés, mais délibérément effacés. Morceau par morceau, corps par corps, ville par ville. Le monde regarde, les caméras tournent, les camions humanitaires arrivent avec des miettes d’aide et des logos aux couleurs vives – et pourtant, le silence est assourdissant.

Ce qu’Israël fait à Gaza n’est pas une guerre. C’est un nettoyage ethnique. C’est un génocide. Et la communauté internationale, enveloppée dans le langage de la diplomatie et de la démocratie, n’est pas seulement complice, elle est responsable. (...)

L’aide est présentée à nos enfants affamés comme un appât, puis volée. Ensuite, elle est filmée, puis utilisée comme arme. Comment appelle-t-on un système qui utilise la faim comme un outil militaire ? Ce n’est pas de la sécurité. C’est une guerre de siège. Et c’est un crime.

Nous assistons à quelque chose qui dépasse la cruauté. Des enfants sont brûlés vifs. Pardonnez ma description. Des membres sont arrachés à leurs petits corps. Non pas comme un accident de guerre, mais comme un résultat accepté. Un fait. Un coût. Ce n’est pas un conflit. Il s’agit d’un génocide.

Nous, les habitants de Gaza, sommes en train de sortir de l’histoire en temps réel. Et pourtant, aucune action n’a été entreprise. Parce que le monde a échangé son âme contre de la politique et de la normalisation. Ils nous ont laissé le choix entre l’exil et l’extinction. (...)

Il ne s’agit pas de complexité politique. Il ne s’agit pas de deux camps. Il s’agit d’un peuple qui est massacré, affamé, déplacé et effacé pendant que le monde débat de la terminologie.

Si les droits humains, le droit, la morale ont encore un sens, Gaza est l’endroit où ces valeurs doivent subsister ou mourir. Car si le monde peut nous regarder disparaître et ne rien faire, alors rien de ce qu’il prétend défendre n’est réel.

Nous ne mourons pas en silence. Nous documentons notre propre destruction.

Souvenez-vous de ceci : si Gaza tombe, elle ne tombera pas dans l’obscurité – elle tombera sous les projecteurs, tandis que le monde défile, sachant et choisissant d’oublier.