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Vacarme
nous ne ferons pas la guerre de la laïcité
Vacarme 59
Article mis en ligne le 3 mai 2012
dernière modification le 30 avril 2012

« Présider la République, c’est être viscéralement attaché à la laïcité, car c’est une valeur qui libère et qui protège. Et c’est pourquoi j’inscrirai la loi de 1905, celle qui sépare les Églises de l’État, dans la Constitution. » François Hollande frappe l’air de son poing décidé. Énormes applaudissements. Drapeaux qui s’agitent dans tous les sens

(...) Mais pourquoi est-ce à ce point une priorité d’inscrire la loi de 1905 dans une constitution dont l’article 2 dit déjà « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens, sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances » ? C’est quoi l’urgence ? Et puis pourquoi le public du Bourget, dit « peuple de gauche », réserve-t-il davantage de hourras à cette déclaration qu’à beaucoup de celles qui suivront ? Et que viennent faire les viscères là-dedans ? Depuis quand l’attachement à la laïcité serait-il une affaire de viscères ?

Laissons les viscères aux populismes de droite. Car c’est le fond de l’affaire : tout comme la Nation, la laïcité, historiquement à gauche, est en train de passer à droite. (...)

les laïques de gauche ont continué à mener leur combat, sans prendre clairement conscience de cette nouvelle donne, sans prendre en tout cas les précautions politiques minimales auxquelles elle oblige. Certains se sont laissés piéger dans la commission Stasi, ce groupe d’experts dont les travaux, dénaturés, ont servi de préparatifs et de caution à la loi d’interdiction des signes religieux ostentatoires à l’école. D’autres ont perpétué le discours anticlérical hérité du combat de la République contre l’emprise du clergé catholique, en substituant sans beaucoup d’aménagements le barbu au curé. D’autres encore ont continué à tenir haut la critique marxiste de la religion comme opium du peuple, s’indignant par exemple qu’un parti censément révolutionnaire puisse présenter une candidate voilée. Tous sont sincères : leur laïcité n’a rien à voir avec celle de Marine Le Pen ou de Nicolas Sarkozy. Mais cette sincérité ne règle pas le problème : en France, aujourd’hui, la laïcité est devenue un instrument d’agression de la minorité musulmane (...)

Il faut évidemment tenir à la laïcité. Mais on ne peut plus se dire laïque aujourd’hui sans préciser immédiatement ce dont on parle, tant le terme s’est brouillé et tant ses usages prolifèrent. La laïcité, au fond, telle que le principe et l’organisation institutionnelle nous en ont été légués par la Troisième République, et telle qu’elle fait consensus, c’est quoi ? Dans la loi de 1905, c’est la séparation des Églises et de l’État, rien d’autre. C’est-à-dire une double interdiction faite simultanément à l’État et aux Églises : on interdit à l’État toute préférence religieuse, et aux Églises toute prétention à gouverner.
(...)

la laïcité n’a pas prétention à en finir avec le théologico-politique, elle se contente d’en faire le “lieu vide”, comme dit Claude Lefort, autour duquel se construisent nos démocraties. La laïcité, c’est donc l’entière soumission politique des Églises à un État religieusement neutre, pour que la société respire, ni plus, ni moins. De cette conception fondatrice, le grand combat laïque qu’on nous demande de mener aujourd’hui s’est complètement écarté. (...)

Alors que la laïcité a été faite, historiquement, pour que les différences de croyance et les écarts religieux au sein d’une même croyance ne conduisent pas les hommes et les femmes à s’entre-déchirer, on traque aujourd’hui jusque dans les vies privées les signes et les preuves d’une incompatibilité supposée entre telle culture religieuse et les normes communes. (...)

Peut-être trouverait-on moins suspects, sinon plus convaincants, nombre des nouveaux ralliés au drapeau de la laïcité s’ils étaient plus équitables : s’ils s’inquiétaient par exemple davantage de la prégnance du christianisme dans les discours officiels et autorisés que de la présence de l’islam dans la société française. Car au cours des dernières années, quand la laïcité a été entamée, ce fut le plus souvent sur le front chrétien. (...)

Pire encore, le combat laïque d’aujourd’hui apparaît comme un dévoiement du combat féministe
(...)

Comment ne pas voir que la carte de l’égalité des sexes n’est actuellement utilisée par la droite que pour mieux stigmatiser l’immigration ?
(...)
Il est également très étrange d’imputer à l’islam (ou au judaïsme) le monopole des inégalités hommes/femmes. L’Église catholique n’a pas démérité quand il s’est agi de contrôler les femmes, leurs corps et si possible leurs âmes. Plus fondamentalement, on a tort d’attribuer la domination masculine aux seules religions. La France est un État laïque, et la société française laïque se satisfait fort bien d’écarts de salaire de 9 % au minimum (en réduisant toutes les autres variables comme le temps partiel) et en moyenne de 20 %, à qualifications égales, entre hommes et femmes.

Il est également très simplificateur de réduire le port du foulard à une pure oppression masculine. (...)

Comment créer un espace public commun, ouvert à tous, en respectant la pluralité existante des formes de vie ? Peut-être en renouvelant le projet des Lumières, en menant un polylogue, en postulant qu’il ne peut y avoir de l’universel si nous ne tenons pas compte de la diversité des traditions. Mais avant tout en dédramatisant les problèmes qu’est censée poser la diversité culturelle et dont les laïques s’inquiètent tant aujourd’hui.
(...)

Si la laïcité des XVIIe et XVIIIe siècles a été fille des Lumières, si celle du XIXe a été une politique de protection des minorités, arc-boutée à une sécularisation des institutions d’éducation et d’assistance, la laïcité du XXIe siècle — celle que nous voulons pour aujourd’hui — doit inventer les formes d’une tolérance égalisatrice. En bref, la laïcité doit devenir démocratique et non invoquer un imaginaire républicain totalement détaché de son socle historique. Cette laïcité démocratique est politique des minorités, pluralisme des mœurs et des manières, autogestion pragmatique de la société par elle-même sans recours au durcissement de la loi, en somme une laïcité qui suppose une attention réciproque entre individus.
(...)

Il faut faire savoir que la laïcité ne peut pas être un fanatisme, elle ne peut être qu’une pratique douce, avec des règles claires sans doute, mais à être sans souplesse elle disparaît. (...)

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