Après la prise de la ville de Goma par le groupe armé M23 en République démocratique du Congo (RDC), Jérôme a décidé de quitter sa ville et son pays. Il passe au Rwanda voisin et continue sa route jusqu’en Tanzanie. Des passeurs le font ensuite passer à Mayotte, territoire d’outre-mer français, en traversant l’Océan indien. Il vit maintenant depuis plusieurs mois dans un camp de fortune à l’est de l’île française.
Jérôme*, originaire de République démocratique du Congo, a fui la ville de Goma, où il habitait, lorsque le M23, mouvement armé opposé au gouvernement congolais et soutenu par le Rwanda voisin, a pris le contrôle de la région fin janvier 2025. Après un périple de six mois, il est arrivé à Mayotte en septembre 2025, où il a demandé l’asile.
Quand le M23 s’est emparé de la ville de Goma, nous sommes restés cachés dans nos maisons mais ils ont commencé à mener des recherches. Il y a des gens qui ont été forcés d’intégrer leur groupe armé. Ce fut le cas de mon beau-frère. Il est décédé après avoir été forcé à combattre. Moi, en tant qu’activiste des droits de l’Homme, je ne voulais être lié ni au gouvernement ni à des hommes armés. Je n’avais donc plus le choix, j’ai quitté le pays.
(...) Je suis arrivé au Rwanda. Là bas, j’ai cherché un chauffeur. Le premier, un Ougandais, a exigé 300 dollars parce qu’il estimait que me transporter c’était risqué. C’est donc un Tanzanien qui m’a pris en voiture. Il m’a emmené jusqu’à Dar es Salam, en Tanzanie, pour 200 dollars.
Ma femme et mes enfants - restés à Goma - ont fui peu de temps après dans le village de ma belle-mère, plus à l’ouest en RDC. Ils avaient peur d’être violentés, violés ou tués par les hommes armés.
"J’avais 1 750 dollars en tout"
J’ai fais des petits boulots pendant cinq mois à Dar es Salam puis j’ai été approché par des Congolais. Ce sont eux qui m’ont parlé de la route par la mer pour aller à Mayotte et qui m’ont mis en contact avec un passeur. (...) (...)
Je ne voulais pas forcément aller à Mayotte. Mais je suis parti car je n’avais aucun avenir en Tanzanie. Je ne pouvais pas rester à cause de la police. Je n’avais pas de papiers en règle, je n’étais pas libre de circuler... Je devenais fou à rester à la maison.
En tout, j’avais 1 750 dollars. Mais le passeur en voulait 2 000. J’ai essayé de négocier, je lui ai dit que je n’avais déjà pas assez d’argent pour manger à ma faim, que j’étais sous logé… Il a refusé. (...)
Mais après une semaine et demi, le même homme m’a finalement contacté. Il m’a donné rendez-vous dans un quartier de Dar es Salam. Là, une femme est venue me chercher. Elle m’a conduit jusqu’à un bus. Je suis monté dedans. On a roulé pendant quelques heures. Je ne sais pas où on était exactement car ils nous ont pris nos téléphones.
Puis on est descendu et on a pris des motos jusqu’à un autre endroit que je ne connaissais toujours pas. Là, on nous a fait dormir dans une maison puis le lendemain, on a embarqué sur un bateau. Nous étions 64 dans ce gros bateau. On a navigué dedans pendant 3 jours. J’avais très peur mais c’était la mort qui m’attendait derrière moi donc j’ai continué. (...)
Au bout de 3 jours, les passeurs ont mis à l’eau des kwassa kwassa qui étaient sur le bateau [embarcations de pêche régulièrement utilisées pour le passage illégal de migrants vers Mayotte, NDLR]. Ils nous ont dit de monter dedans. On était une trentaine environ.
La fin de la traversée a été vraiment compliquée. Nous n’avions très peu de choses à manger ou boire... Et on a risqué notre vie avec un kwassa sur l’océan ! Entre les vagues, les courants… Je ne saurai pas dire comment nous avons survécu.
Si j’avais le pouvoir de dire aux autres de ne pas naviguer sur cette mer, je le ferai. Le kwassa, c’est trop dangereux. Ce n’est pas fait pour l’océan. En RDC, les petits kwassa, on ne s’en sert même pas pour traverser le lac Kivu. (...)
"On s’est retrouvé sur un trottoir sans savoir où aller"
A la fin, on a accosté, on s’est retrouvé dans une forêt. On ne savait pas ou on était, on n’avait aucune information. Les passeurs nous ont hurlé : "Allez descendez, partez ! partez !" On nous a jetés là comme des ordures.
On ne savait même pas si on était à Mayotte. Notre grande crainte, c’était que les passeurs nous ait menti. En avançant, on a vu des voitures avec les étoiles sur les plaques d’immatriculation [les étoiles cercle de l’Union européenne, NDLR]. Puis après, le long de la route, on a vu une bibliothèque avec écrit "Mayotte" dessus. C’est comme ça qu’on a su qu’on était sur le sol français, à Mtsamboro [une localité du nord-ouest de Mayotte, NDLR]. (...)
La police nous a très vite arrêtés. Ils nous ont emmenés dans leur bureau et nous ont donné des OQTF [Obligation de quitter le territoire français]. Nous voulions demander l’asile mais on ne savait pas quoi faire. Alors on a signé. Puis ils nous ont mis dehors. (...)
On s’est retrouvé sur le trottoir sans savoir où aller. On se demandait s’il fallait aller au nord, au sud ou à l’est ? On a erré et fini par croiser un Africain qui nous a parler du camp de Tsoundzou 2, dit "la guinguette". (...)
"Je le dis clairement, je suis traumatisé"
Aujourd’hui, ca fait 4 mois que j’attends pour demander l’asile. Il y en a dans le camp qui attendent depuis plus de 6 mois sans avoir été contacté par Solidarité Mayotte, l’organisme en charge de l’asile sur l’île, ou la préfecture. Et ici, il n’y a rien à faire. Il n’y a pas de boulot. La police est toujours derrière nous. C’est une chasse à l’homme.
Je peux dire que psychologiquement, je suis traumatisé. Je ne suis plus la personne que j’étais chez moi. Je ne suis plus la personne que j’étais en Tanzanie. Je suis une autre personne maintenant à Mayotte. J’ai perdu ma femme, mes enfants... Je pense tout le temps à eux, je me demande tout le temps s’ils s’en sortent. J’ai cherché à voir un psychologue parce que des fois j’ai des sons, des souvenirs qui me reviennent et je suis constamment inquiet pour ma famille en RDC.
On ne se doutait pas qu’on allait vivre dans ces conditions-là à Mayotte. J’ai vu des déplacés en RDC vivre mieux que nous ici. (...)