
Limogé le 17 novembre, le cofondateur de la société d’intelligence artificielle revient par la grande porte le 21. Il a obtenu des pouvoirs renforcés. Ses opposants sont KO debout. Mais le grand vainqueur de cette bataille est Microsoft.
Cinq jours à peine après avoir été limogé d’OpenAI, Sam Altman retrouve son poste de PDG, auréolé d’une victoire éclair. Son éviction surprise avait plongé la start-up dans un total désarroi. Un conflit ouvert entre le conseil d’administration d’un côté, les salariés et les investisseurs de l’autre, avait éclaté, laissant planer des doutes sur l’avenir. Son retour est salué par les applaudissements du personnel, des investisseurs et d’une grande partie de la Silicon Valley. (...)
Le retour du cofondateur d’OpenAI, qui a conçu ChatGPT, les rassure : le futur s’écrira bien tel qu’ils l’entendent. (...)
Le ton apaisé ne doit pas faire illusion : Sam Altman a mis KO debout le camp adverse. La déstabilisation provoquée par son limogeage et le soutien de plus de 700 salariés menaçant de quitter la société s’il ne revenait pas ont convaincu tout le monde qu’il est indispensable.
Mettant à profit ce rapport de force des plus favorables, il a négocié pour obtenir des pouvoirs considérablement renforcés avant de revenir. Tous ceux qui s’étaient opposés à lui, et notamment Ilya Sutskever, responsable scientifique et membre du conseil d’administration, ou qui s’inquiétaient de la fuite en avant technologique de l’entreprise sont mis ou appelés à être mis à l’écart.
Les membres du conseil d’administration qui l’ont évincé sont à leur tour éjectés : Sam Altman en a fait une condition non négociable pour revenir. Un nouveau conseil chargé d’assurer l’intérim a été formé : il est composé de Bret Taylor, ancien dirigeant de l’éditeur de logiciels Salesforce, d’Adam Angelo, cofondateur de la plateforme Quora, et de l’économiste Larry Summers, ancien secrétaire américain au Trésor, proche de Hillary Clinton.
Cette composition ressemble presque à une caricature, selon certains observateurs. (...)
La mainmise de Microsoft
Vaguement embarrassés, les proches de la négociation ont invoqué le manque de temps. Selon des confidences recueillies par Bloomberg, la candidature de plusieurs femmes aurait été évoquée pour siéger au conseil d’OpenAI. Mais – hasard ? – aucun consensus n’a pu être trouvé sur l’une d’entre elles.
Mais à côté de Sam Altman, il est un autre vainqueur, plus discret et beaucoup plus puissant : Microsoft. Ayant investi quelque 13 milliards de dollars (12 milliards d’euros) dans l’entreprise et noué des relations technologiques et commerciales étroites avec OpenAI, le géant informatique a œuvré jour et nuit pour circonscrire des risques qui menaçaient ses intérêts. (...)
À l’avenir, le cofondateur d’OpenAI continuera à diriger la société au quotidien mais il en référera aussi à Microsoft : car il lui est désormais redevable de son pouvoir. (...)
Défaits, les membres du conseil d’administration d’OpenAI qui avaient démis Sam Altman de ses fonctions restent silencieux. Mais depuis le déclenchement de leur coup d’éclat et tout au long de cette bataille, ils sont restés muets, incapables de défendre leur position et d’expliquer leur choix.
Selon une information de Reuters, plusieurs chercheurs auraient adressé une lettre aux membres du conseil d’administration pour les informer « d’une puissante découverte sur l’intelligence artificielle qui pourrait, selon eux, menacer l’humanité ». Ce projet nommé Q* (Q Star) aurait pour objectif de développer un nouveau langage capable de résoudre des problèmes mathématiques de haut niveau et de raisonner comme un humain.
Reuters n’a pu voir cette lettre mais a eu confirmation de l’existence de ce projet auprès d’OpenAI. Cette lettre, dévoilant ce projet jusqu’alors resté secret, aurait été à l’origine de la décision des membres du conseil de limoger Sam Altman, en lui reprochant son « manque de transparence ». Mais les membres du conseil ne s’en sont jamais expliqués clairement. Par peur de nuire à la société ? Tétanisés par les conséquences imprévues de leur coup d’éclat ?
Le constat est là, implacable : ils n’ont jamais su tenir le récit pour justifier leur action. (...)
Toute la Silicon Valley s’est mobilisée en défense de Sam Altman. Dès l’annonce de sa révocation, les dirigeants et anciens dirigeants – milliardaires pour la plupart – des entreprises high tech et des plateformes numériques ont multiplié les messages de soutien, les attaques contre des administrateurs jugés « incompétents » et mettant en péril les travaux de la société. (...)
L’entrée de l’intelligence artificielle dans l’ère industrielle
Les salariés, de leur côté, ont maintenu une pression maximum contre le conseil d’administration. Au-delà de la défense de leur « chef », il y avait aussi celle de leurs intérêts. D’ici à la fin de l’année, le fonds Thrive Capital s’est engagé à racheter les parts détenues par les personnels de la société sur la base d’une valorisation totale de 82 milliards de dollars. Le limogeage de Sam Altman risquait de faire capoter toute l’opération, le fonds doutant de la valorisation d’OpenAI après le départ de son cofondateur. L’argument a fait mouche : on ne renonce pas comme cela à des dizaines, voire des centaines de milliers de dollars.
Avec la bataille autour d’OpenAI, un chapitre se clôt : celui de l’ère de l’expérimentation, des tâtonnements dans les développements de l’intelligence artificielle. Le temps de la prudence et des doutes s’achève en même temps. La défaite du conseil d’administration d’OpenAI risque de réduire au silence celles et ceux qui prônent la prudence. (...)
Tous souhaitent avancer au plus vite dans la phase industrielle, dans le développement de masse, sur tous les terrains, de ces technologies. Sans se préoccuper des dégâts ni des effets pervers qu’elles peuvent causer dans les sociétés. (...)
Déjà Google ambitionne – comme OpenAI d’ailleurs – de concevoir et de fabriquer ses propres puces et microprocesseurs pour échapper à la domination de Nvidia, fournisseur incontournable pour les puces liées à l’intelligence artificielle. Tous sont en train de dépenser sans compter pour multiplier à l’infini leur puissance de calcul, trouver les technologies qui pourront concevoir, fabriquer, exécuter, contrôler sans intervention humaine. Plus que jamais, les milliards vont commander.