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AfriqueXXI
Orpaillage. Sur la piste des « dragues libériennes »
#Afrique #orpaillage #biodiversite #ecosystemes
Article mis en ligne le 3 septembre 2025
dernière modification le 31 août 2025

Reportage · Ces plateformes flottantes surmontées d’une pompe d’extraction ratissent le fond des fleuves d’Afrique de l’Ouest à la recherche d’or. Une pratique historiquement apparue au Liberia avant de gagner les autres pays de la sous-région, dont la Côte d’Ivoire, qui donne du fil à retordre aux services de lutte contre l’orpaillage illégal.

Envoyé spécial au Liberia.

Mille cinquante kilomètres. C’est la longueur estimée du fleuve Bandama, dont le lit serpente du nord au sud sur l’axe central de la Côte d’Ivoire. Vu d’un satellite, ses flancs sont parsemés de dégradés ocres. Sur certains segments, les berges ne présentent plus aucune végétation, le sol ayant été méticuleusement « lavé » par la frénésie des chercheurs d’or.

On peut aussi apercevoir quelques taches sombres au milieu de l’eau. Il s’agit de dragues, du nom de ces plateformes flottantes traditionnellement utilisées pour nettoyer les fonds fluviaux. Leur déploiement à proximité des ports ou des débarcadères constitue une pratique courante de par le monde. En Afrique de l’Ouest, elles sont détournées de leur usage habituel par de petites équipes en quête du précieux métal jaune. (...)

Une technologie apparue à l’époque coloniale

« Les dragues ont été introduites en Afrique de l’Ouest dès l’époque coloniale », note Hugo Dory-Cros, doctorant en anthropologie économique à l’École des hautes études en sciences sociales, dont les travaux portent sur l’exploitation de l’or dans la sous-région. « C’était principalement le fait d’opérateurs européens qui cherchaient à contourner les contraintes logistiques de territoires difficilement accessibles par voie terrestre. » (...)

Tandis que certaines dragues aspirent le sable de la berge, les « dragues libériennes » ratissent le fond des fleuves. (...)

En Côte d’Ivoire, où la technique est arrivée dans le sillage de la crise post-électorale de 2010-2011, « les premiers à avoir importé ce type de drague étaient les Maliens, poursuit-il. Ce sont toujours eux qui maîtrisent le plus cette filière. » Aujourd’hui, ces objets flottants sont visibles dans toute la sous-région, du Sénégal jusqu’au Nigeria.

L’exploitation artisanale – le plus souvent illégale – est en première ligne du boom aurifère à l’œuvre en Afrique de l’Ouest. Dans le rapport « Sur la piste de l’or africain », publié en 2024, l’organisation indépendante SwissAid considère qu’au moins la moitié de la production totale du continent échappe à tout cadre réglementaire. (...)

« Ce type de drague permet d’atteindre des couches profondes des fleuves autrement inaccessibles », analyse Hugo Dory-Cros. Le caractère mobile permet, par ailleurs, d’échapper aux dispositifs de surveillance.

« Des accidents arrivent. Certains meurent » (...)

La plateforme métallique se maintient à flot au moyen de bidons remplis d’air. Elle est surmontée par un puissant moteur, lui-même relié à une pompe à sable. Sous l’eau, un imposant tuyau est guidé par un plongeur afin d’aspirer le fond du fleuve. Le torrent de sédiments qui en ressort finit sa course sur une succession de tapis inclinés de sorte à séparer l’or sous l’effet de sa propre gravité. (...)

Muni d’une combinaison et d’un masque, Oscar est l’un des hommes-grenouilles qui plongent et remontent à la surface pendant deux heures, la durée des roulements des équipages composés de six personnes. Le plongeur est suspendu à la vie par une corde, avec un maigre tuyau d’oxygène coincé entre les dents. « Avec l’eau trouble, quand le tuyau se perd, on ne voit plus rien, on ne sait plus où on est, explique Philip. De nombreux accidents arrivent comme ça. Certains meurent. » (...)

En fin de journée, l’or est revendu au Liberia ou en Côte d’Ivoire, au prix pratiqué par les acheteurs (environ 80 euros le gramme lors du reportage, en juin 2025). Les gains sont partagés entre le « patron » – le propriétaire de la drague – et ses travailleurs.
Un cinquième d’une piscine olympique par heure (...)

À quelques mètres des débarcadères, dont l’accès est empêché par d’épais barbelés, fourmillent plusieurs centaines de revendeurs en tout genre. Derrière une allée de ferrailleurs, les portes d’une discrète boutique ouvrent sur un stock de pompes à succion, les mêmes que celles qu’on harnache aux dragues. Si les modèles états-uniens furent les premiers à investir ce marché, ils ont depuis longtemps été remplacés par du made in China. (...)

La délicate lutte contre les dragues

L’utilisation sauvage de ces dragues a de nombreuses conséquences écologiques. À commencer par la mise en suspension des sédiments qui affecte la capacité de reproduction des espèces aquatiques, en plus de faire fuir durablement certains mammifères, à l’instar de l’hippopotame. « Même si l’activité tend aujourd’hui à se faire en aval des villages, il était courant que du mercure soit utilisé à même la drague et ensuite massivement rejeté dans les cours d’eau, ajoute Hugo Dory-Cros. Les populations dépendantes de la pêche sont confrontées à la raréfaction des ressources et au risque de bioaccumulation toxique dans les poissons consommés. » (...)

Depuis Monrovia, la branche libérienne de l’Extractive Industries Transparency Initiative (EITI), chargée de veiller à la conformité des activités extractives, se félicite pourtant de revenus records pour l’État. Selon le dernier audit de l’organisation, l’industrie minière aurait généré 140 millions de dollars de taxes en 2022. Ce chiffre, fruit de l’activité du secteur formel, ne dit rien de l’orpaillage illégal. (...)

Dans la sous-région, les initiatives se multiplient pour tenter de limiter l’extraction illégale de l’or et ramener dans le giron des États des taxes potentielles. Le 8 juillet, le Ghana a lancé une force militaro-policière qui rémunèrera les informateurs civils à hauteur de 10 % des saisies d’or effectives (...)

Sous le couvert de l’anonymat, un colonel confirme la complexité d’intervention sur des bras de fleuves isolés. Drones de surveillance et zodiacs sont ici indispensables afin de saisir puis de détruire les installations. « Pour les dragues, il faut démanteler toute la structure, car une pompe ou un moteur sont facilement remplaçables », raconte le gradé. Mais la difficulté persiste au niveau des filières d’approvisionnement. (...)

En attendant, les « dragues libériennes » continuent de ratisser les fleuves d’Afrique de l’Ouest. L’or qui en est extrait, difficilement traçable, prend la route des deux principaux pôles mondiaux du traitement aurifère : les Émirats arabes unis et la Suisse. Avant de rejoindre les vitrines des bijouteries et les coffres-forts du monde entier.