Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
France24/AFP
Otages français en Syrie : au procès Nemmouche, Édouard Elias raconte 10 mois d’enfer
#terrorisme #jihadisme #journalistes #otages #EtatIslamique #Syrie
Article mis en ligne le 20 février 2025

Le procès de Mehdi Nemmouche et de quatre jihadistes, jugés pour avoir détenu quatre Français, otages du groupe État islamique, est ouvert depuis lundi à la cour d’assises spéciale de Paris. Édouard Elias, l’un des quatre journalistes qui avaient été retenus en Syrie pendant 10 mois, en 2013 et 2014, a témoigné à la barre mercredi.

(...) Ensuite, ils sont emmenés à l’hôpital d’Alep (ils l’apprendront plus tard), transformé en prison.

Là, c’est l’enfer : "C’est continuellement, continuellement, des cris de gens en train de mourir. Tout le temps, le jour, la nuit, un abattage systématique de Syriens. C’était une machine, une horreur absolue".

Dans les couloirs, des rangées d’hommes suspendus au plafond - les images de la vidéosurveillance de l’époque ont été diffusées à l’audience la veille - frappés par des gardiens à grands coups de bâtons.

Au sol, des "monceaux d’êtres humains en train de geindre, des cadavres vivants". Les otages occidentaux sont privés de nourriture et frappés - "je vois mon visage en cellule, il est bleu, littéralement bleu" - mais se rendent vite qu’ils sont "à part", qu’ils ont de la valeur et qu’on ne les tuera pas comme ça, dans un sous-sol d’hôpital parmi des milliers d’anonymes.

"J’entendais des gens hurler, ils ont égorgé des gens juste devant ma porte". Il s’arrête un instant. "Là, c’est compliqué car je ne sais pas où est Didier" François.

Et puis un jour, il entend un cri en français dans une cellule voisine. "AMI !", a crié la voix.

"Et je ne sais pas ce qui me prend, je me mets à chanter. ’Ami, entends-tu les cris sourds du pays qu’on enchaîne’", entonne Édouard Elias, reprenant le Chant des partisans dans le micro.

"Et là Didier reprend et chante avec moi, et je comprends qu’il est à côté de moi. Et je ne suis plus seul".

Il poursuit son récit, les changements de lieux de détention, les retrouvailles avec les autres otages - "John (Cantlie), Federico (Motka), James (Foley), David (Haines)", énumère-t-il. Les deux derniers seront exécutés à genoux, les mains derrière le dos, en tenue orange, dans des vidéos de propagande qui avaient révélé au monde la cruauté de ce nouveau groupe jihadiste.
"Il y a une voix que j’ai entendue ici (...). Je l’ai reconnue formellement"

Les ex-otages racontent aussi la "faim", obsédante, l’ennui. La "bûche de Noël" fabriquée en décembre avec des bouts de pain.

Et la "stratégie" pour tenir. "On s’est dit que si jamais on sortait, on voulait pouvoir ramener le maximum d’information", décrit Didier François, 64 ans, barbe et cheveux blancs. Alors, ils regardent tout : "Combien de pas jusqu’à la salle de torture, jusqu’aux toilettes... et tous les soirs, on faisait le point".

"Il y a une voix que j’ai entendue ici, dans cette salle. Je l’ai reconnue formellement", dit-il sans un regard pour Mehdi Nemmouche dans le box, qui a lui soutenu n’avoir "jamais" été geôlier.

"Cette voix" dit-il sans prononcer son nom, "c’est celle que j’ai entendue en Syrie, je suis formel parce que c’est au fond de mes tripes".

C’est la voix qui m’emmerdait pendant des heures", qui "me terrorisait, qui me faisait chier en cellule". Celle de celui "qui parlait trop, qui parlait tout le temps, qui disait ’mon petit Didier’", imite Édouard Elias d’un ton chantant.

"Cette diction, cette tournure de phrases, ce cynisme, cette arrogance, cette forme d’ironie : ’Je suis un ancien délinquant reconverti en nettoyeur ethnique islamique’", reproduit-il encore.

"Zéro doute", balaie aussi Didier François, franchement tourné vers Mehdi Nemmouche qui le regarde en coin.

Comme pour tenter de provoquer une réaction, il raconte "l’humour" de son geôlier qui lui avait lancé, alors qu’il portait une tenue orange pareille à celle des prisonniers de Guantanamo : "T’as l’air d’un con avec ton costard en peau de saumon fumé".

Dans le box, Mehdi Nemmouche reste de marbre.

Le président Laurent Raviot l’avait fait se lever devant Édouard Elias. "Vous le reconnaissez ?", avait-il demandé au témoin.

Les deux hommes s’étaient toisés, pendant de longues secondes, à trois mètres l’un de l’autre. "Il était cagoulé, je ne peux pas dire, je ne sais pas". Mais dès qu’il "parle", avait ajouté le photographe en portant sa main au cœur, "je ressens cette peur". (...)

Mehdi Nemmouche, déjà condamné à la perpétuité pour avoir abattu quatre personnes au musée juif de Bruxelles en 2014, écoute, impassible.

Les ex-otages l’ont décrit comme "pervers", "imprévisible", "instable", participant à des séances de torture nocturne de détenus syriens, suspendus au plafond, frappés de câbles électriques, parfois égorgés sur place. (...)