
Écartés des discussions sur la fin de la guerre dans leur pays, insultés par Donald Trump qui ne cesse d’humilier publiquement Volodymyr Zelensky, traité de « dictateur » mercredi, nombre d’Ukrainiens se sentent trahis. Témoignages.
(...) L’Ukraine responsable de l’agression russe en 2014, puis en 2022 ? Donald Trump ne s’arrête pas là dans l’humiliation du « partenaire » ukrainien.
Le même jour, il met en doute l’usage de l’aide américaine et remet en cause la légitimité même du président ukrainien, qui serait à « 4 % d’opinions favorables ». Une accusation régulièrement reprise par le Kremlin, sans élément à l’appui.
Le lendemain, mercredi 19 février, il traite Volodymyr Zelensky, dans un message publié sur son réseau social Truth Social, de « dictateur sans élection » (...)
Enfin, toujours le 19 février, Donald Trump finit par menacer son homologue : « Zelensky ferait bien de réagir rapidement, sans quoi il n’aura plus de pays. »
Comment cette avalanche de déclarations incendiaires a-t-elle été reçue par les principaux concerné·es ? Youlia, qui vit dans la banlieue de Kyiv, se dit « dans un état terrible, tout simplement désespéré ». (...)
Décoder la tactique trumpienne
Cette mère célibataire a quitté l’Ukraine en catastrophe pour quelques mois, après février 2022, puis est revenue chez elle, et vit désormais sous le feu régulier des attaques de drones et de missiles balistiques. Les fenêtres de son appartement ont été soufflées cinq fois en trois ans. « Nous nous sentons trahis, ajoute Youlia. On espérait que Trump soutiendrait encore l’Ukraine mais il a décidé de soutenir les occupants. »
Iryna Minkovska, formatrice à Kharkiv, a eu elle aussi, en trois ans, l’occasion de passer par des émotions multiples. L’organisation, en urgence dans les premiers jours de la guerre, de l’aide humanitaire, le déménagement de son mari et de ses deux enfants dans la région de Kyiv, les bombardements incessants qui visent Kharkiv, située à 40 kilomètres seulement de la frontière russe…
La formatrice a entendu les déclarations incendiaires de Donald Trump ces derniers jours, écouté et lu les multiples commentaires sur le sujet. « Mais notre système psychologique a été tellement mis à rude épreuve ces trois dernières années que je ne sais pas si nous sommes encore capables d’indignation ou d’émotions fortes, explique-t-elle. Nous sommes comme anesthésiés. » (...)
Comme beaucoup de ses compatriotes, Iryna Minkovska est surtout rompue au pragmatisme. (...) Le président ukrainien a refusé la proposition de Washington de céder aux États-Unis une partie des ressources naturelles du pays en échange d’un vague cessez-le-feu. Mais elle met en garde : « Poutine, lui, ne fait pas du commerce, pas du tout, voire il se fiche des conséquences économiques de ses décisions. C’est sa propre survie politique qui est en jeu dans cette guerre et notre destruction comme nation. C’est ça que Trump ne comprend pas. »
Depuis la France, où elle s’est réfugiée en 2022 avec sa fille et sa mère, Iryna Sergeeva souligne l’un des rares motifs de satisfaction de ces derniers jours : « Le fait que Zelensky n’ait pas signé l’accord sur les matières premières m’a énormément réjouie. » Mais sur le fond, cette Ukrainienne, elle aussi originaire de Kharkiv, juge complètement « folle » l’idée que des pourparlers puissent avoir lieu sans l’Ukraine, « alors même que [leur] pays a payé un si lourd tribut » dans le conflit.
« Mais ce qui m’intéresse le plus là-dedans, c’est la réaction, si je puis dire, des autres joueurs », poursuit Iryna Sergeeva : « Trump est comme un enfant dans un magasin de jouets, il veut faire tout ce qu’il veut. La seule question qui vaille est la suivante : est-ce que le monde va le laisser faire ? » (...)
. « Si la Russie n’est pas punie pour sa guerre en Ukraine, elle ré-attaquera. Or, l’Europe n’est pas prête. Il suffit de regarder le nombre d’hommes dans les différentes armées européennes : ça n’est rien. Notre brigade seule, avec 6 000 hommes, pourrait conquérir un pays comme l’Estonie en deux jours. »
Une Europe « impuissante »
« Est-ce que les gens en Europe ont conscience de cette faiblesse ? », interroge sans détour Vitaly Skochko, depuis le centre de l’Ukraine. Cet exploitant agricole est préoccupé par ses affaires : contracter des prêts bancaires est « de plus en plus difficile », et il doit composer avec de « nouvelles taxes » mises en place par le gouvernement. (...)
Il semble plus en colère contre cette impuissance, et contre ce qu’il perçoit comme de l’indifférence de la part des sociétés occidentales, que contre le mépris affiché par Donald Trump pour son pays. « Trump et Poutine ? Ce sont juste des mots. Ils parlent. Pour l’instant, cela ne change pas ma vie. Mais... pardon de le dire comme ça, mais personne n’en a rien à foutre de nous. Que l’on meure ou non. C’est devenu abstrait pour l’Europe et l’Amérique, comme un jeu. Pour vous, ce sont seulement des mots. Nous, c’est notre vie. »
Malgré cette amertume contre le monde qui semble détourner les yeux, certain·es Ukrainien·nes veulent pointer la responsabilité de leur propre État – renvoyé à une simple monnaie d’échange, voire à un siège vide à la table des puissants. (...)
Oleksiy Goncharenko, député proeuropéen et chroniqueur régulier du journal Ukrainska Pravda, n’est pas plus tendre avec la stratégie des dirigeants ukrainiens. Mais prenant acte qu’il n’y aurait pas de « Yalta » pour l’Ukraine, il pose la question qui taraude nombre de ses compatriotes : « Il se trouve que la diplomatie de Zelensky a conduit les Américains à parler de l’Ukraine sans l’Ukraine. C’est un problème. Nous punirons les coupables plus tard. En ce moment, nous devons comprendre une chose simple : c’est déjà arrivé. Que faire à ce sujet ? »