
L’eau distribuée dans dix-sept communes des Ardennes et de la Meuse présente des taux alarmants de PFOA, un polluant cancérogène de la famille des PFAS, révèle Disclose, en partenariat avec France 3. Alors que les premiers signaux d’alerte remontent à 2016, l’État commence tout juste à interdire la consommation d’eau du robinet. Une ancienne papeterie est suspectée d’être à l’origine de la pollution.
Transparente, sans odeur : l’eau qui s’écoule des robinets à Villy, dans les Ardennes, semble tout ce qu’il y a de plus normal. Elle est pourtant contaminée par des polluants invisibles et cancérogènes dans des proportions jamais vues en France. Après plusieurs mois d’enquête, Disclose et France 3 révèlent que des taux record de « polluants éternels » — les PFAS – ont été mesurés dans l’eau distribuée dans cette commune et 16 autres du Grand Est.
Cancers, risques cardio-vasculaires, baisse de la fertilité… Ces polluants, dits « éternels » en raison de leur extrême persistance dans l’environnement, sont associés à de nombreuses pathologies et représentent, à ce jour, la plus grave pollution connue pour l’humanité. Les industriels utilisent pourtant massivement ces molécules — appelées per et polyfluoroalkylées — depuis les années 1950 pour leur résistance à l’eau, la chaleur et la graisse. Elles servent ainsi à la fabrication de cosmétiques, de vêtements imperméables ou de poêles anti-adhésives. (...)
Des alertes dès 2016
Depuis combien de temps les habitant·es de ces villages boivent-ils·elles une eau chargée en polluants éternels ? Impossible à dire : l’essentiel des prélèvements d’eau communiqués par le ministère de la santé concernent l’année 2025, et encore, ils ne couvrent pas tout le territoire. C’est seulement à partir de 2026 que la France sera tenue de rechercher systématiquement certains PFAS dans l’eau potable, en vertu d’une réglementation européenne. (...)
Pourtant, des signaux d’alerte sur la contamination du secteur ont été émis il y a près de dix ans. (...)
En 2023, une concentration de 315 ng/l de polluants éternels a aussi été détectée dans un forage d’eau qui alimente sept communes des Ardennes. Sans qu’aucune restriction de la consommation d’eau ne soit prononcée. Pourtant, depuis un arrêté de décembre 2022, le ministère de la santé est tenu de réagir si plus de 100 ng/l de PFAS sont mesurés dans l’eau potable.
L’inaction de l’État est d’autant plus grave que « les PFAS ne sont pas un poison qui agit immédiatement, comme l’arsenic, explique à Disclose Tony Fletcher, épidémiologiste environnemental britannique et spécialiste mondial de ces molécules. C’est l’exposition à long terme à ces substances qui pose problème. Même si on arrête de boire l’eau polluée, la contamination continue dans l’organisme. » Interrogées, les préfectures de la Meuse et des Ardennes n’ont pas donné suite à l’heure de la publication de cet article.
Des mesures d’urgence viennent tout juste d’être prises : des arrêtés de restriction totale de la consommation d’eau potable ont été publiés, jeudi 3 juillet, pour quatre communes de la Meuse. Une décision similaire devrait être prise dans les Ardennes d’ici jeudi 10 juillet. Une première en France. Qui laisse pourtant les élu·es du territoire démuni·es.
Des PFAS dans la papeterie (...)
« La préfecture nous incite à contracter des emprunts pour financer l’achat de bouteilles d’eau, s’agace la maire Annick Dufils. Mais on va payer pendant des décennies pour une pollution qui n’est pas de notre fait ! »
Car au-delà du défi logistique, les élu·es interrogé·es par Disclose et France 3 veulent que le responsable de ces pollutions soit mis à contribution. Et tous·tes pointent dans la même direction : l’ancienne papeterie Ahlstrom, à Stenay (Meuse), qui a fermé en novembre 2024. (...)
Des éléments recueillis par Disclose confirment les soupçons des édiles. D’après notre analyse, trois foyers de contamination de l’eau aux PFAS ressortent, de l’est des Ardennes au nord de la Meuse. Si une vingtaine de kilomètres les séparent, ces trois foyers présentent un point commun : des boues industrielles provenant de la papeterie de Stenay y auraient été épandues pour fertiliser les terres. (...)