
L’alliance de la gauche et des écologistes doit réfléchir à l’élargissement de son électorat au-delà de son propre camp pour l’emporter aux législatives. Malgré le débat vicié sur l’antisémitisme et la mise en équivalence avec le Rassemblement national, ses artisans sont à pied d’œuvre.
La campagne a commencé il y a seulement quelques jours, mais c’est déjà vers le second tour des élections législatives des 30 juin et 7 juillet que les stratèges du Nouveau Front populaire (NFP) sont tournés. Et pour cause : l’effondrement du camp présidentiel se profilant, l’alliance de la gauche et des écologistes doit anticiper une stratégie solide pour fédérer le plus largement possible autour de ses candidatures, dans le duel général qui va l’opposer au Rassemblement national (RN). (...)
Le NFP peut se féliciter d’avoir réussi, grâce à son unité, à mobiliser sa base militante pour mener une campagne de terrain et de « proximité » – c’est le maître-mot des candidat·es sortant·es, qui ont souvent été élu·es à quelques voix près en 2022 face au parti d’extrême droite. Les effectifs des groupes d’action de La France insoumise (LFI) comme des autres partis ont bondi, en particulier dans les fameuses « swing circos » (les circonscriptions pivot, en référence aux « swing states » américains), qui peuvent faire basculer le scrutin.
(...) L’enjeu pour les stratèges du NFP consiste d’abord à surmobiliser les électrices et électeurs de gauche, mais aussi à susciter le vote des abstentionnistes dès le premier tour.
Pour cela, tous les partis conviennent du fait que le seul appel au barrage contre l’extrême droite ne suffit pas. Le NFP ne doit pas être seulement dans un discours de défense, mais offrir des perspectives positives. C’est l’objectif de son programme, qui rompt nettement avec la « politique de l’offre » et se décline en mesures concrètes qui seraient prises selon une chronologie prédéfinie pendant les 100 premiers jours. (...)
« Il faut qu’on démontre que la proposition politique du NFP n’est pas seulement défensive : il y a une opportunité pour les classes populaires et moyennes, qui ont le sentiment d’avoir été trahies depuis le milieu des années 1980, de reconquérir tout ce qu’on leur a volé, défend aussi David Cormand, eurodéputé écologiste et une des têtes pensantes du parti Les Écologistes. C’est une opportunité historique de rattrapage par rapport à la dé-conquête des droits sociaux. »
Mais la gauche ne peut pas faire l’économie d’une réflexion sur l’élargissement de son assise électorale vers le centre de l’échiquier politique. D’autant plus que la projection des résultats des européennes montre qu’en dehors des circonscriptions où elle est sortante, la gauche fait ses meilleurs résultats là où un·e candidat·e de la majorité présidentielle avait gagné en 2022. (...)
Déjouer la diabolisation
La diabolisation dont la gauche – et LFI en particulier – fait l’objet et la mise en équivalence du NFP avec le RN dans la bouche d’Emmanuel Macron lui-même risquent cependant de lui porter préjudice. Le procès en antisémitisme pèse déjà lourdement sur la campagne. « Ces campagnes qui mettent en cause de façon lancinante notre rapport à l’antisémitisme sont délirantes. Je ne serais pas la dernière à formuler des critiques contre mon propre camp, mais c’est une folie d’être renvoyés dos à dos avec le RN sur ce point », affirme Clémentine Autain, qui en appelle à « un sursaut parmi les élites notamment médiatiques et économiques, qui ont une part importante de responsabilité pour qu’on ne bascule pas dans le chaos ». (...)
En annonçant que LFI appellerait à voter contre le RN en cas de duel face à la majorité, l’ancienne présidente du groupe à l’Assemblée, Mathilde Panot, s’inscrit en faux avec l’attitude irresponsable d’Emmanuel Macron. « On va être d’une fermeté totale en incarnant cette digue démocratique, républicaine », promet aussi le socialiste Pierre Jouvet.
Le danger des triangulaires
Si le NFP met autant l’accent sur cet aspect, c’est non seulement pour des questions morales, mais aussi parce qu’il pourrait être confronté à un grand nombre de triangulaires au second tour des législatives. Or, si les candidat·es de la majorité présidentielle – qui arriveront dans la plupart des cas en troisième position, sans possibilité de gagner – se maintiennent en vertu du « ni RN, ni NFP », cela conduirait à l’élection d’un grand nombre de député·es d’extrême droite.
« C’est la responsabilité du président de la République et c’est là qu’il faut porter le débat : si les macronistes sont sincères dans leur combat contre l’extrême droite, ils vont être confrontés au moment de vérité et ce sera déterminant pour le nombre de circos qu’on peut gagner », analyse Pierre Jouvet. (...)
Contrairement à Emmanuel Macron, qui a cru pouvoir gouverner sans compromis, en ignorant l’électorat de gauche qui l’avait porté au pouvoir pour faire barrage à l’extrême droite, la gauche du NFP s’engage à tenir compte de la tripolarisation de la vie politique. « Tout porte à croire que si nous sommes amenés à gouverner, il sera nécessaire d’aller chercher une majorité plus large que les députés du NFP, affirme David Cormand. Il faut donc trouver un centre de gravité qui permet de diriger le pays, sans frelater notre proposition politique, mais en tissant un lien abîmé dans ce pays. »
Si la bataille contre l’extrême droite s’annonce difficile et si des tensions internes au NFP ne manqueront pas d’éclater après les élections, l’alliance se hisse donc dans l’immédiat à la hauteur de l’enjeu. En tâchant de ne pas oublier le cœur de son offre politique. (...)