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club de Mediapart/ Batiste Tritsch
Pour une université libre de philosophie
#philosophie
Article mis en ligne le 19 novembre 2025
dernière modification le 16 novembre 2025

Une boîte. Voilà dans quoi l’étudiant se trouve enfermé. Il se cogne, cherche des issues mais ne parvient pas à lever le couvercle. Michel Foucault et Gilles Deleuze nous alertait déjà en leur temps. Qu’en est-il aujourd’hui ? À part préparer son employabilité sur le marché, que fait l’étudiant ?

À l’image de la plupart de ses enseignants, ce n’est pas la puissance créatrice de la matière qui anime l’étudiant en philosophie, mais bien au contraire les méthodes et notions qu’il faut apprendre pour les recracher telles quelles ensuite. En somme, il s’agit d’un savoir dont le seul et unique but est de nous faire fonctionner comme des machines et faisant ainsi de la philosophie — entre beaucoup autres — une pure industrie, un savoir-faire plus pauvre que jamais.

Comme le rappelait lucidement Michel Foucault en 1971, l’université fait partie de ces institutions qui ont l’air indépendantes mais qui ne le sont en aucun cas. Sa prétendue fonction de transmission de savoirs n’est que pure apparence, la première étant de maintenir au pouvoir une certaine classe sociale excluant ainsi une autre de l’accès aux instruments du pouvoir. Au même moment, son ami et collègue Gilles Deleuze théorisa, aux côtés de Félix Guattari, le rhizome désignant une structure évoluant en permanence dans toutes les directions horizontales et exempte de hiérarchie. Ce concept s’applique à l’université et a été expérimenté à la création de l’Université de Vincennes (1969-1980) dont Foucault et Deleuze furent des figures de premier plan. Aujourd’hui, force est de constater que l’université est restée au statut d’arbre par opposition au rhizome.

Dans l’ouvrage Deleuze aujourd’hui (PUF, 2025), Thomas Detcheverry souligne que : «  l’éducation traditionnelle éteint l’esprit critique des élèves, elle renforce le pouvoir social des oppresseurs. »1 L’état actuel de l’université en témoigne plus que jamais. Particulièrement en philosophie, où la liberté initiale d’une telle matière s’en trouve bafouée (...)

Thomas Detcheverry aborde ses fondamentaux qui pourraient servir de socle à une nouvelle université libre :

 Une volonté de promouvoir la pluridisciplinarité et la recherche théorique contemporaine.

 L’ouverture à un public plus large afin de démocratiser l’accès à l’enseignement supérieur.

 Son fonctionnement par système modulaire et personnalisé plutôt que par système hiérarchique, linéaire et standardisé.

 Un certain engagement politique.

 L’implication directe des étudiants dans les décisions institutionnelles ou la conception des cours.

 Des expérimentations pédagogiques non-conventionnelles (séminaires participatifs, ateliers pratiques, rejet des structures hiérarchiques traditionnelles, modes d’évaluations flexibles adaptés à l’abandon des programmes rigides.)2

Il ne s’agit pas ici de renier les modes classiques de l’enseignement tels que le cours magistral mais, plus simplement, d’en repenser la portée et son utilité aux yeux de chacun. (...)

Un chemin est possible. Une sortie de cette boîte dans laquelle, élèves comme enseignants, ne cessent de se cogner est envisageable. Cette boîte est à la fois image de la pensée et réalité effective, en ce sens que le cours dispensé dans une salle close, parfois pendant des heures, illustre la transmission de ce savoir-faire machinique qui ne laisse que peu de place aux questions de fond, à l’échange. Un lieu doublement clos donc, tant physiquement qu’intellectuellement. Transmission autoritaire ou flux de paroles limité, l’enseignement philosophique demeure purement arborescent. Le rhizome plutôt que l’arbre. (...)

Tout mène ainsi à ce que Bernard Stiegler nomma la disruption : « Il tente à présent (le consumer capitalism) de compenser l’extrême désenchantement provoqué par l’épuisement des systèmes sociaux en se radicalisant — en devenant purement, simplement et absolument computationnel, imposant à toute activité un entendement automatique à travers les algorithmes de la société réticulaire, qui prennent de vitesse toute critique de la raison. La raison s’en trouve systématiquement court-circuitée. La réalité de la disruption, c’est la perte de raison. »7 Une perte de raison qui mène à l’accomplissement du nihilisme, radicalisation qui rend inévitable l’autodestruction en ce sens qu’elle épuise les sociétés qu’elle exploite en s’épuisant elle-même insiste Stiegler. Le rhizome plutôt que l’arbre.

Lutter ainsi contre l’entendement automatique d’une société réticulaire en transformant l’institution scolaire et notamment l’université en un espace libre serait une première grande étape mais la tâche semble colossale. Colossale tant beaucoup s’y plaisent et restent aveugles (du moins silencieux) devant la débâcle en cours. Il faut transpercer le couvercle de la boîte, s’extirper de celle-ci. Le rhizome plutôt que l’arbre. (...)