Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Frustration magazine
Pourquoi on ne voit que des gens aisés à la télé
#Television #medias
Article mis en ligne le 28 septembre 2025
dernière modification le 23 septembre 2025

J’ai déjà raconté cette expérience à plusieurs reprises : lorsque je me rends sur un plateau télé à Paris – ce qui m’arrive une ou deux fois par an à l’occasion de la sortie d’un de mes livres – je suis toujours frappé par la très grande homogénéité sociale qui y règne. Cette homogénéité est d’abord géographique : les invités et les journalistes qui participent à ces émissions dite “de débat” sont absolument tous parisiens. Ensuite, une homogénéité sociale : même pour parler de sujets relatifs au quotidien des Français (par exemple le pouvoir de vivre, la pauvreté, les salaires), on fait plutôt appel à des éditorialistes, des chercheurs, des chefs d’entreprise… Cela provoque de la part du public de la lassitude mais aussi une certaine résignation : allumer la télé, en particulier une chaîne d’info en continu, c’est voir des gens en veste de costume nous expliquer la vie.

Mais ce n’est pas seulement quand il s’agit d’information : en fait, tous les programmes télévisés sur-représentent les catégories aisées et diplômés. Et c’est… de pire en pire, nous confirme le rapport annuel de l’Arcom (ex-CSA), qui publie chaque année une étude intitulée “La représentation de la diversité de la société dans les médias “. (...)

Selon l’Arcom, n’y a que 2% d’ouvriers qui apparaissent à la télévision, contre 62% de cadres, tout programme confondu ! Or, la population active compte 21,6% de cadres et 19,1% d’ouvriers, selon l’INSEE. Si les journalistes aiment répéter que “la classe ouvrière” a disparu, c’est tout simplement parce qu’eux-mêmes ne la montrent plus…

Ce problème de représentation des classes sociales n’a fait que s’aggraver puisque la part d’ouvriers et d’employés qui apparaissent à l’écran a chuté de 16% à 8%… La représentation des classes sociales à la télévision est donc de plus en plus bourgeoise. (...)

On y mesure aussi la représentation des handicapées, des femmes, des plus de 65 ans ou encore des personnes “perçues comme non-blanches” c’est-à-dire racisées.

L’Arcom se félicite que la proportion de femmes à la télévision ait augmenté… de 3 points, mais elle représente seulement 40% des personnes qui apparaissent à l’écran. Et le rapport nous précise qu’elles sont surreprésentées sur les sujets “vie quotidienne” mais moins sur les sujets scientifiques ou politiques. Un résultat frappant, c’est que si la proportion des femmes jeunes à la télévision est presque identique à leur proportion dans la société réelle, l’écart se creuse avec l’âge : plus les femmes sont âgées, moins elles apparaissent à l’écran. (...)

On y apprend aussi que la proportion de personnes perçues comme non-blanches, c’est-à-dire racisées, stagne depuis 2013. Rien à voir donc avec l’idée réactionnaire selon laquelle notre télévision serait envahie par des sujets “wokistes”. Mais surtout, le rapport nous montre que, dans les programmes d’information, les personnes racisées sont plus régulièrement montrées négativement que positivement, contrairement aux fictions.

La sous-représentation la plus forte à la télévision est sans contestation possible celle des personnes handicapées, qui représentent moins de 1% des personnes qui apparaissent à l’écran. C’est délirant, quand on sait que 12 millions de personnes sont concernés par le handicap, soit 18% de la population ! (...)

Dans les sous-représentations marquantes, celle des habitants de l’Outre-mer, qui ne représentent plus qu’1% des personnes qui apparaissent à l’écran en 2023, contre 9% en 2018. Une chute que l’Arcom attribue à la fin de la chaîne France Ô. Cette chaîne du groupe France Télévision a été stoppée en 2020…

D’une façon générale, l’Arcom note que les chaînes d’info en continu font pire que les autres à tout point de vue. Mais le tableau général est très mauvais et il n’y a pas, par exemple, d’exemple donnée par les chaînes publiques. Alors, comment en est-on arrivé là ?

D’abord, qui se ressemble s’assemble. Les journalistes sont une profession très homogène socialement, avec une minorité d’étudiants en journalisme issus de catégories populaires. Mais au-delà de leur extraction, les journalistes évoluent dans un certain milieu social, géographique (avec des rédactions nationales toutes basées à Paris) et plus leur condition de travail se dégradent, plus ils vont au plus vite. Et le plus rapide, c’est de s’adresser à des connaissances, à des proches, ou de descendre faire un micro-trottoir pas loin de l’immeuble où se trouve la rédaction… Le phénomène est aggravé par le fait que la prétention à la neutralité des journalistes est aussi une prétention à l’objectivité sociale : le journalisme mainstream est aveugle à la classe sociale. Mais il est aussi aveugle aux autres rapports de domination qui traversent la société, voire emprunt d’un certain racisme dans son traitement de l’information, si l’on en croit les données de l’Arcom. (...)

Le rapport que la plupart des gens entretiennent avec la télévision est un rapport aliéné, au sens où ce qu’on y voit, ce qu’on y entend, est très éloigné socialement de ce que l’on vit, que cela soit dans les programmes d’informations ou dans les fictions.

(...)

Le plus souvent ce sont des chercheurs, pas tant des universitaires que des membres de “think tank”, ces fondations le plus souvent financées par le patronat, qui viennent dire “ce que les gens pensent” et qui arrangent bien le point de vue de la bourgeoisie. Ceux-là ont compris de quoi les journalistes de télévision avaient besoin : d’un interlocuteur professionnel, parisien, prêt à débarquer à tout moment.