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Le Grand Continent
Préparer les Européens à la défense du continent : une conversation avec le Commissaire Andrius Kubilius
#UE #guerres
Article mis en ligne le 3 octobre 2025
dernière modification le 30 septembre 2025

(...) Face à la menace russe, Ursula von der Leyen a confié à son commissaire à la Défense une tâche colossale : coordonner une Pax Europaea.

Nous le rencontrons.

Les incursions russes dans l’espace aérien polonais, estonien et roumain constituent-elles une provocation ou un test ?

Les deux : avec la Russie, chaque provocation est une manière de tester notre détermination.

Lorsque vingt drones pénètrent l’espace aérien polonais, ce n’est pas une erreur.

Il s’agit clairement d’une provocation visant à mettre à l’épreuve la solidité de notre défense anti-drone sur le flanc Est.

En envoyant immédiatement des avions pour détruire ces appareils, l’OTAN a réagi rapidement et efficacement. Notre défense aérienne est préparée, robuste et capable de nous défendre contre les avions de combat ennemis et les missiles.

Mais pour faire face aux incursions de drones, nous devons développer de nouvelles capacités.
(...)

Moscou doit comprendre clairement que nous réagirons efficacement pour défendre nos États membres et leurs espaces aériens. C’est une question de souveraineté — et c’est clair pour nous tous.

Le président Trump a laissé entendre que l’incursion en Pologne aurait pu relever d’une erreur — plutôt que d’une provocation. Êtes-vous certain que les États-Unis protégeront le territoire de l’OTAN contre toute agression ?

Je pense sincèrement qu’ils participeront à la défense du territoire de l’OTAN et qu’ils joueront leur rôle dans nos plans collectifs.

La question aujourd’hui est donc la suivante : quel est notre plan de défense et comment réagissons-nous à l’agression ?

Et quelle est votre réponse ?

Il faut à mon sens travailler sur un nouveau mandat.

Car que signifie « agression » ? Auparavant, c’était assez clair : des chars avançaient sur votre territoire, des avions de combat croisaient dans votre ciel — c’était le début d’une invasion. Dans cette hypothèse, l’OTAN était appelée et l’article 5 était déclenché.

Mais que se passe-t-il si ce ne sont pas des chars qui fondent vers nous, mais cent ou deux cents drones ? Comment réagir à cela ? Est-ce que cela relève de l’article 5 ? Et, si tel est le cas, quel serait notre plan d’action ?

La nature de la guerre a fondamentalement changé. L’Ukraine en est la preuve. Ce théâtre fait coexister des éléments de guerre classique avec une nouvelle façon de se battre. C’est la raison pour laquelle nous devons nous pencher sur la défense classique, mais aussi sur de nouvelles capacités.

Nous devons être prêts sur terre, en mer, dans les airs — et même dans l’espace (...)

Qu’est-ce qui constitue le seuil d’une agression de l’Europe en 2025 ?

C’est une question clef et dont je ne peux être le seul à décider de la réponse. Elle implique les différents États membres et l’OTAN.

En tant que commissaire à la défense, je le résume par une phrase simple : nous avons besoin d’un nouvel état d’esprit. (...)

La présidente de la Commission a répété le mot clef d’indépendance et je ne peux qu’être d’accord.

Nous voulons bâtir une Pax Europaea.

Les États-Unis ont indiqué depuis longtemps déjà — et pas seulement depuis le retour de Trump — qu’ils allaient changer l’ordre de leurs priorités et qu’ils considéraient comme stratégiquement nécessaire de renforcer leur présence dans la région indo-pacifique en se focalisant sur la Chine. Par conséquent, ils nous signalent que nous devrions nous occuper de notre sécurité à un degré beaucoup plus élevé qu’auparavant. L’idée que Washington serait toujours présente ne tient plus. C’est une transformation que nous devons examiner de manière rationnelle et dépassionnée. (...)

’un de mes principes en tant que commissaire à la défense est de ne jamais entrer en concurrence avec l’OTAN. Nous devons renforcer le pilier européen de l’OTAN mais nous ne devons pas être en concurrence. Nous devons lever des fonds, utiliser notre politique industrielle et les outils dont nous disposons aux côtés des États membres — mais cela ne devrait en aucun cas faire signe vers une scission chaotique à l’intérieur de l’Alliance.

Dire que l’Europe doit prendre en charge sa défense est simplement le reflet d’une nouvelle réalité. L’idée que nous pouvions nous reposer sur nos lauriers, profiter des dividendes de la paix et ne pas dépenser est révolue (...)

En tant qu’Européens, nous devons être suffisamment forts pour dissuader toute agression — tout en proposant également une vision de progrès et de démocratie.

On entend parfois que Poutine aurait envahi l’Ukraine parce qu’il craignait l’expansion de l’OTAN ou qu’il pensait que Kiev pourrait un jour y adhérer. Personnellement, je n’en crois rien. Poutine ne se soucie que d’une seule chose : la survie de son régime. Or une Ukraine indépendante, démocratique et européenne représentait un danger évident pour la Russie en ce qu’elle aurait soulevé des questions nouvelles pour le peuple russe : pourquoi l’Ukraine est-elle en train de se développer ? Pourquoi l’Ukraine est-elle plus prospère et se porte-t-elle mieux que nous ? Ce sont les réponses à ces questions qui menacent directement le régime russe. (...)

Nous devons aussi être honnêtes : ce n’est pas toujours facile car il y a toujours un instinct national. Sur le plan politique, la défense est encore principalement considérée comme une question intérieure et nos armées fonctionnent de cette manière. Cette mentalité doit changer. (...)

L’Union européenne a été conçue comme un projet de paix, mais le contexte qui nous entoure a changé. C’est une réalité : nous avons besoin d’un nouvel état d’esprit.

Quelles seraient les traductions concrètes de cette nouvelle mentalité ?

Nous prenons les bonnes mesures pour mettre en place le nouveau récit dont nous avons besoin.

Ce n’est pas pour rien que nous avons désormais un commissaire à la défense, que nos dirigeants ont fait de la défense une priorité absolue et que nous concevons et déployons toute une série de nouveaux outils dans ce sens.

Nos services de renseignement s’expriment plus ouvertement sur la menace russe : c’est une bonne chose. Il reste encore beaucoup à faire pour expliquer aux Européens — je parle ici des citoyens — à quel point nous devons nous préparer à cette menace.

Quand je repense à l’année écoulée, je trouve nos avancées plutôt encourageantes.

Mais nous devons désormais accélérer la cadence pour augmenter notre production et mobiliser des capitaux efficaces.