
Trois copropriétaires ont été condamnés à de la prison ferme sous bracelet électronique, lundi, dans le procès des effondrements de la rue d’Aubagne, qui avaient causé la mort de huit personnes. L’architecte-expert qui avait bâclé une visite de l’immeuble juste avant le drame et l’élu à la ville en charge du logement insalubre ont écopé de sursis.
Plus de six mois après le procès des effondrements de la rue d’Aubagne à Marseille, qui avaient causé la mort de huit personnes le 5 novembre 2018, le verdict a été rendu, lundi 7 juillet. (...)
Dans une salle bondée du tribunal judiciaire de Marseille, dix des 16 prévenus ont été condamnés. Le président du tribunal correctionnel de Marseille, Pascal Gand, a commencé par relaxer trois copropriétaires du numéro 65 de la rue d’Aubagne ainsi que le bailleur social et deux de ses anciens dirigeants qui géraient le numéro 63 inoccupé.
"Indifférence déplorable"
Xavier Cachard, propriétaire d’un appartement du 65 rue d’Aubagne, et ex-avocat du syndic de copropriété de l’immeuble, a été condamné à quatre ans de prison dont deux ans ferme à effectuer sous bracelet électronique. C’est la peine la plus sévère pour celui qui était à l’époque élu LR au conseil régional Paca.
Pour Pascal Gand, "les fautes commises par Xavier Cachard constituent les fautes les plus graves" dans ce dossier. En tant que copropriétaire et avocat du syndic il a adopté "une stratégie d’obstruction de réalisation des travaux nécessaires" dans l’immeuble avec une "emprise manifeste sur les décisions et les votes", sans parler de son "indifférence déplorable" sur l’état du logement qu’il louait, a asséné le magistrat.
Sébastien Ardilly, qui était poursuivi avec ses parents, absents à l’audience, et leur SCI en tant que personne morale, a été condamné à trois ans de prison dont un an ferme sous bracelet électronique. Son père Gilbert a écopé de quatre ans dont deux ferme sous bracelet électronique et sa mère Martine de trois ans avec sursis.
"Le tribunal retient que vous étiez personnellement informés des désordres graves" au numéro 65 de la rue d’Aubagne et que "vous avez fait preuve d’une indifférence totale en n’exécutant pas les travaux" nécessaires, a commencé le président Pascal Gand.
"Ces fautes ont causé de façon indirecte et certaine la mort d’Ouloume Saïd Hassani", une mère comorienne démunie qui vivait dans cet appartement du centre-ville de Marseille avec ses deux fils, qui ont eux survécu et étaient présent dans la salle. (...)
Amende de 100 000 euros pour le cabinet Liautard
Alors que le président énumérait les nombreux travaux — risques d’effondrement du plafond et du plancher, fils électriques apparents, déficit de chauffage, moisissures, punaises de lits — que Sébastien Ardilly aurait dû entreprendre avec ses parents, le prévenu s’était effondré, nécessitant l’intervention des marins-pompiers.
Richard Carta, l’architecte-expert qui avait visité l’immeuble quelques jours à peine avant son effondrement, en quelques secondes, le matin du 5 novembre 2018, a été condamné à deux ans de prison avec sursis.
Évoquant sa "faute caractérisée", le président du tribunal a estimé que l’expert s’était livré au cours de son intervention "à une série de négligences et d’imprudences", aboutissant à sa décision de laisser aussitôt les habitants réintégrer l’immeuble.
Quant à Julien Ruas, le seul élu de la municipalité alors en place, sous la direction de Jean-Claude Gaudin (LR), maire pendant vingt-cinq ans, jusqu’en juin 2020, il a lui aussi échappé à la prison ferme, avec une peine de deux ans avec sursis. Dans son jugement, Pascal Gand a souligné "l’absence de stratégie politique visant à diligenter des procédures de périls" de la part de cet élu, qui avait ainsi "ignoré les enjeux en matière d’habitat dégradé marseillais".
Le cabinet Liautard, syndic du 65 rue d’Aubagne, a été condamné à 100 000 euros d’amende. Jean-François Valentin, ancien gestionnaire du cabinet en charge du 65 rue d’Aubagne, a lui été condamné à trois ans de prison avec sursis et à une amende de 8 000 euros. (...)
Avant le début du jugement, plusieurs dizaines des proches des huit victimes et militants se sont rassemblés. Il faut "que ce drame-là ne se reproduise plus jamais" et que "la peur change de camp au niveau du logement aujourd’hui", a plaidé Anissa Harbaoui, coprésidente de l’assemblée des délogés, rappelant qu’il y avait encore quelque 200 signalements d’immeubles en péril chaque mois à Marseille.
En sortant de l’audience, des habitants de Marseille, venus en nombre écouter cette décision dans une ville minée par le logement indigne, ont crié "assassins" quand les principaux prévenus sont passés devant eux.
"C’est un jugement qui est quand même assez clément (...), on attendait quand même plus. Et effectivement, on est encore sous le choc", a réagi Anissa Harbaoui, regrettant qu’il n’y ait "aucune peine de prison ferme" et assimilant les peines sous bracelet électronique à du sursis. (...)
Des effondrements inévitables
Les six semaines de débats à l’automne avaient permis d’établir que les effondrements le 5 novembre 2018 des numéros 63 (vide) et 65 étaient inéluctables, vu l’état du bâti.
Mais l’instruction avait seulement renvoyé quatre personnes devant le tribunal (...)
Insuffisant pour certaines parties civiles qui avaient donc cité à comparaître 12 personnes supplémentaires, dont plusieurs copropriétaires. (...)