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Quand des Juifs Israéliens s’engagent pour les Palestiniens : portraits croisés d’une minorité invisibilisée
#israel #palestine #Hamas #Cisjordanie #Gaza
Article mis en ligne le 23 novembre 2024
dernière modification le 20 novembre 2024

Ils ont entre 15 et 58 ans et participent à des actions en soutien aux Palestiniens « victimes de violences des colons, de l’armée israélienne dans les territoires occupés, et de bombardements dans la bande de Gaza ». En Israël, ils prennent part aux manifestations organisées chaque samedi, ainsi qu’à d’autres événements plus ponctuels pour exprimer leur opposition à la politique « génocidaire » de Benyamin Netanyahou. Pour Blast, six Israéliens ont accepté de partager leurs parcours et convictions sans filtre.

C’est un point de friction. Un sujet épineux, voire tabou en Israël. La question des droits humains des Palestiniens reste largement controversée, invisibilisée dans les médias. Pour certains Israéliens, la prise de conscience a été immédiate, tandis que pour d’autres, cela a nécessité un processus plus long, un cheminement qui les a finalement amenés à rejeter le continuum systémique « de propagande étatique légitimant le massacre de Palestiniens » et le « simulacre des opérations militaires meurtrières à Gaza justifiées par la nécessité de ramener les otages ».

Lors des rassemblements qui ont lieu chaque samedi soir à Tel Aviv, quelques manifestants de gauche, peu nombreux, expriment leur opposition en dénonçant plusieurs figures de l’extrême droite, qualifiés de « génocidaires » (...)

Selon le collectif « Israeli Citizens For International Pressure », près de 3 600 citoyens israéliens ont signé une pétition demandant aux dirigeants du monde entier de sanctionner l’État hébreu pour « ses crimes de guerre à Gaza », soulignant « l’abandon des 97 otages » toujours aux mains du Hamas et « la persécution des palestiniens d’Israël réduits au silence par les autorités ».

« Environ 5 à 10 % des Israéliens sont actifs dans la lutte contre l’occupation et les crimes envers les Palestiniens » estime Sam Stein, américano-israélien et responsable de terrain au sein de Rabbis For Human Rights, une organisation de rabbins et d’étudiants juifs œuvrant pour la justice sociale dans les territoires occupés. « Il n’y a pas encore d’étude statistique à ce jour car ce phénomène reste encore atypique au sein de notre société ». (...)

Depuis la Guerre des Six Jours en 1967, l’Organisation des Nations Unis (ONU) juge illégale l’occupation de la Cisjordanie, Gaza et Jérusalem-Est et demande un retrait des forces israéliennes. La Cour internationale de justice (CIJ) estime que le mur de séparation érigé par Israël en Cisjordanie occupée, justifié par la lutte contre les attentats-suicides, viole le droit international en restreignant la liberté de circulation des Palestiniens et en facilitant l’expansion des colonies israéliennes. À ce jour, près de 500 000 colons juifs vivent dans les territoires occupés.

Jeudi, un nouveau rapport a été présenté à l’Assemblée générale de l’ONU à New York, dénonçant « l’aspect génocidaire des opérations israéliennes » dans la bande de Gaza, le recours à la famine et à plus de 25 000 tonnes d’explosifs comme armes de guerre « l’équivalent de deux bombes nucléaires » deux fois larguées sur Hiroshima.

Selon le dernier rapport de l’Office de Coordination des Affaires Humanitaires des Nations Unies en date du 8 novembre 2024, plus de 43 000 personnes ont été tuées dans la bande de Gaza - dont 70% sont des femmes et des enfants. En Cisjordanie occupée, plus de 800 Palestiniens ont été tués depuis le 7 octobre 2023, en majorité des civils, selon le site d’information Shireen - créé par des journalistes palestiniens en hommage à Shireen Abu Akleh, tuée par Tsahal en 2022 - qui documente les crimes de guerre imputés à l’État hébreu. (...)

Doron Ben David, 29 ans : « un anti-sionisme assumé » (...)

Progressivement, ce producteur de musique découvre des organisations comme Zochrot, œuvrant à la mémoire de la Nakba, rencontre des Palestiniens et prend conscience des traumatismes qu’ils subissent. Aujourd’hui, il soutient des actions de protection d’agriculteurs boutés par des colons en Cisjordanie occupée et construit avec emphase l’idée que l’Etat hebreu repose sur la suprématie juive, dissimulant ainsi l’illusion d’une démocratie fondée selon lui, sur un système politique aux antipodes des principes de liberté et d’égalité pour chaque individu. (...)

« le véritable problème réside dans la négation de l’existence et de l’identité palestinienne. La société refuse de les identifier comme des êtres humains » . Doron estime qu’un seul État Palestinien, basé sur l’égalité et la liberté sans distinction raciale ou religieuse, sans apartheid, sans point de contrôle, est la seule solution viable. « Lorsqu’en manifestation je scande Free Palestine, cela n’implique pas l’expulsion des Juifs, mais la liberté pour tous » .

Aujourd’hui, son engagement lui a fait perdre des amis et sur l’application de messagerie Télégram, des groupes d’extrême-droite appellent parfois à le violenter. (...)

Ofer : « une prise de conscience tardive »

Il souhaite rester anonyme par crainte de représailles : Ofer (1), ingénieur électrique, se rappelle avoir été profondément marqué par l’attaque du Hamas le 7 octobre. À cette date, il soutient la guerre à Gaza. Mais progressivement, les vidéos circulant sur les réseaux sociaux qui montrent « des enfants se faire massacrer » le terrifient.

Peu actif politiquement jusqu’alors, il a un déclic à 26 ans. Le mois dernier, une question dans une librairie change définitivement sa vision du conflit : « Un client demandait si son livre sur le nettoyage ethnique de la Palestine avait été livré. » Intrigué et excité à l’idée qu’un tel livre puisse exister, il fonce chez lui, fouille sur le Net et achète cet ouvrage d’Ilan Pappé en PDF.

Depuis, il prend part aux manifestations organisées à Tel Aviv et s’étonne de « l’ignorance généralisée de ses concitoyens concernant la Nakba et les crimes subis par les Palestiniens » (...)

Ofer témoigne également de la difficulté à discuter de la question palestinienne dans les cercles israéliens (...)

« La BBC, le New York Times et Al Jazeera me permettent d’affiner ma capacité de jugement et je suis persuadé que notre État bombarde les infrastructures civils à Gaza dans le but de coloniser ce territoire. »

Yaffa Schuster, « militante pour la création d’un État Palestinien »

Yaffa Schuster est engagée depuis ses années de lycée et milite activement pour la reconnaissance d’un État Palestinien. Originaire de Jérusalem et installée à Tel Aviv, cette comédienne de 57 ans, titulaire d’un doctorat sur la langue des communautés éthiopiennes en Israël, se fait entendre sur scène et au sein de la classe politique.

En 2017, elle est arrêtée par la police israélienne après avoir craché sur trois colons juifs qui s’introduisaient au domicile des Shamasne, une famille palestinienne de Jérusalem-Est expulsée par une dizaine de policiers. « Je suis restée une journée en prison et cela m’a permis de réfléchir à la manière dont je pouvais m’engager. » Elle crée alors le collectif Indépendant Palestinian State qui compte quatre personnes actives sur le terrain : trois Israéliens et un Palestinien. (...)

Malgré les obstacles, cette quinquagénaire pleine de vitalité reste optimiste. « Mes amis palestiniens de Ramallah sont d’accord avec moi, et nous avons même entamé un dialogue avec des membres israéliens du parti Hadash. » Elle croit fermement qu’une résolution pacifique du conflit est concevable et que « la reconnaissance d’un État palestinien simplifierait ensuite le traitement des autres problématiques, sans recourir à la violence ». (...)

Tali Betan : « Le minimum est de ne pas participer à la violence »

Elle est juive israélienne, vote pour Hadash, le parti politique de gauche composé majoritairement d’arabes (des Palestiniens vivant en Israël) et assume son engagement en faveur des droits humains des Palestiniens - en dépit d’être ostracisée par de nombreux de ses compatriotes. (...)

Tali Betan, 58 ans, ne se considère ni activiste, ni militante, mais simplement humaine et se joint à diverses actions organisées par Standing Together, un mouvement œuvrant pour la justice sociale créé en 2015 ou encore Fighters For Peace, une structure fondée en 2005, réunissant d’anciens soldats israéliens et anciens prisonniers palestiniens ayant renoncé à la violence pour promouvoir la paix. (...)

Cette psychologue de profession constate l’impact de la violence sur les personnalités israéliennes et critique la militarisation de la société qui, selon elle, normalise la déshumanisation des Palestiniens. Refusant que ses trois enfants servent dans l’armée, elle les a élevées dans le respect de toutes les vies et les a encouragés à avoir un regard critique sur l’histoire d’Israël (...)

Une jeune génération « consciente d’un génocide palestinien »

Esther (1), 17 ans, s’oppose fermement au sionisme nationaliste de droite de ses parents. Originaire de Netanya, une ville située dans le district centre d’Israël, elle effectue le 2 novembre une heure et demie de trajet en bus, en solitaire, afin de rejoindre une manifestation pro-palestinienne organisée à Tel Aviv par Radical Bloc, une organisation de résistance non-violente anticolonialiste et anticapitaliste.

D’autres groupes militants portant différentes revendications sont également présents, qui demandent notamment la libération des otages du Hamas : Bring Them Home Now. (...)

Au lycée, elle n’a plus d’amis depuis que des photos d’elle, prises lors de ces rassemblements, ont circulé. « Je suis vue comme la pestiférée, la trublionne. Mes camarades m’ont lynchée et se moquaient des civils et des enfants qui se font annihiler chaque jour. Une fois j’ai même foncé aux toilettes pour vomir tant leur propos étaient abjects. » (...)

À l’approche du baccalauréat, la lycéenne semble indifférente à l’idée d’une carrière professionnelle. Elle songe simplement à devenir activiste à temps plein pour contrer les colons qui fomentent des séditions et des projets d’agressions contre les Palestiniens en Cisjordanie occupée (...)

Noa (1) 15 ans, participe également aux manifestations de Radical Bloc et espère rejoindre prochainement le rang des activistes de terrain. Iel se définit comme non-binaire, anarchiste et issu.e d’une famille sioniste de droite. « Avant le 7 octobre, je considérais toutes les atrocités d’Israël comme justifiées. Ce qui a principalement façonné mon point de vue, c’est de voir ses crimes commis en temps réel. Les réseaux sociaux sont inondés de vidéos de massacres à Gaza » fulmine Noa qui estime que le droit au retour des Palestiniens des camps de réfugiés à Gaza et en Cisjordanie occupée devrait être accordé d’urgence. (...)

Cette année, Noa a dû changer d’établissement scolaire après avoir reçu des menaces de la part de ses condisciples - dues à son empathie. (...)