Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
CQFD
« Reconnaître l’existence de l’antisémitisme »
#antisemitisme #antisionisme
Article mis en ligne le 12 janvier 2024
dernière modification le 9 janvier 2024

Suite de la double-page consacrée à l’antisémitisme, avec l’entretien que nous a accordé Jonas Pardo, qui a notamment fondé un atelier de formation à cette question cruciale.

Jonas Pardo a créé en 2022 un atelier de formation à l’antisémitisme au programme ambitieux1. Le pari : combattre l’antisémitisme chez ceux qui se croient les plus exempts de ce biais-là, à grand renfort de pédagogie. Ce qui demande du tact et un certain courage : les réactions de défense sont parfois violentes. En octobre paraîtra aux éditions du Commun son Petit manuel de lutte contre l’antisémitisme, cosigné avec Samuel Delor.

Peux-tu revenir sur les origines de ta démarche ?

« En janvier 2015, au moment de l’attentat au supermarché Hyper Cacher de la porte de Vincennes, je suis très lié à la lutte contre l’aéroport à Notre-Dame-des Landes. Je m’aperçois rapidement que, pour mes camarades, la tuerie antisémite est un non-sujet. Tout le monde s’en fiche – voire exprime de la compassion envers les tueurs, sur le mode : “On comprend le geste, au vu de ce qu’Israël fait aux Palestiniens.” On était plusieurs personnes juives ou non juives à faire le même constat du désintérêt de la lutte contre l’antisémitisme dans les milieux de luttes et c’est les autrices du texte “Pour une approche matérialiste de la question raciale”, paru dans la revue Vacarme, qui nous ont réunis pour penser la question de l’antisémitisme à gauche. »

Qu’est-ce qui caractérise l’antisémitisme à gauche, celle-ci étant entendue au sens large ?

« D’une part, une tendance à personnifier la critique du pouvoir et de l’économie, le capitalisme n’étant plus vu comme un système social mais comme le résultat de l’action de personnes malveillantes. C’est ainsi qu’on a vu le nom de Rothschild agité pendant les Gilets jaunes ou les manifestations contre le passe sanitaire. Cela s’exprime parfois de façon plus subtile car, depuis la Shoah, et au contraire d’autres racismes, l’antisémitisme est aujourd’hui disqualifié socialement, et doit donc adopter des formes cryptées. La critique du capitalisme financier, mondialiste, internationaliste, par opposition à un bon capitalisme qui serait industriel, productif, national, etc., en est un exemple. Or le capitalisme est un ensemble, ces deux aspects sont indissociables.

Le deuxième aspect est lié au conflit en Israël/Palestine, où la gauche a souvent du mal à faire la différence entre une critique du fait politique israélien, fondée sur des faits établis dans des termes précis, et la dénonciation d’une entité politique diabolique, conjuguant motifs antisémites historiques et fake news. »

Ce qui nous renvoie à cette confusion qui règne, dans le débat public, entre antisémitisme et antisionisme… (...)

aujourd’hui, quand un juif se dit sioniste, ce n’est pas une couleur politique : ça veut seulement dire qu’il considère que les juifs ont droit à un État, avec tous les débats que ça suppose sur la forme que doit prendre cet État. Quand des juifs sionistes entendent le mot “antisionisme”, ce qu’ils comprennent, souvent, c’est qu’on refuse aux juifs d’habiter où que ce soit sur terre.
L’antisionisme est tout aussi divers. Refuser l’existence d’un État juif peut recouvrir des significations différentes. Pour des antisémites à la Dieudonné, par exemple, les juifs n’ont leur place nulle part. Mais il y a aussi des partisans d’un seul État en Palestine. Ce qui recouvre encore des options variées, selon qu’on se place du côté des suprémacistes juifs ou des jihadistes, en faveur d’un État unique où l’autre peuple serait discriminé ou expulsé, ou d’un État binational.
En fait, “sionisme” et “antisionisme” sont des mots inadaptés pour parler de l’antisémitisme en France. On peut être antisioniste mais pas antisémite, antisioniste comme cache-sexe de l’antisémitisme, mais aussi sioniste et antisémite, comme l’extrême droite française. C’est flagrant aux États-Unis où on trouve une droite évangélique sioniste et antisémite. » (...)