
Les critiques fusent de toutes parts à l’heure où la réforme du revenu de solidarité active (RSA) est censée être généralisée au premier janvier. Associations, syndicats, allocataires et même la défenseure des droits dénoncent une transformation qui, sous couvert d’activation sociale, menace de fragiliser encore davantage les plus précaires. Cette réforme, portée par la loi dite « pour le plein emploi », impose des conditions drastiques aux allocataires, avec des conséquences humaines et sociales lourdes. Mais que révèle ce durcissement des conditions d’accès au RSA sur notre conception collective de la solidarité ?
Une réforme sous le signe de la coercition
La réforme du RSA introduit une obligation controversée : réaliser 15 heures d’activités hebdomadaires pour continuer à percevoir cette allocation qui reste un minimum vital pour (sur)vivre. Ces activités, qui vont de la recherche d’emploi à des travaux d’intérêt collectif, sont présentées comme un levier pour « remobiliser » les allocataires. Pourtant, cette mesure repose sur une vision biaisée des bénéficiaires du RSA, souvent perçus comme inactifs ou peu motivés à sortir de leur situation.
Or, les chiffres racontent une autre histoire : près d’un quart des allocataires ont travaillé au moins quatre mois entre 2021 et 2022, malgré des obstacles structurels tels que le manque d’emplois stables ou adaptés à leurs compétences et contraintes personnelles. Nos décideurs ont, semble-t-il, oublié que ce sont les employeurs qui choisissent de recruter ou pas telle ou telle personne. Ce n’est en aucun cas le demandeur d’emploi qui s’auto-embauche alors qu’avec la réforme toute la responsabilité repose sur lui.
Les allocataires du RSA sont dans leur grande majorité prêts à travailler, mais à plusieurs conditions : Qu’ils soient justement rémunérés. Que les emplois leur soient accessibles. Qu’ils leur permettent d’assumer leurs autres obligations telles celle de pouvoir continuer à être présents auprès de leurs enfants pour les familles monoparentales. Dans de nombreux cas, travailler nécessite des dépenses qui vont au-delà les salaires perçus (déplacement, essence, frais de garde etc.) Mais de cela, qui s’en soucie parmi les apôtres de la sanction ?
La conditionnalité accrue s’accompagne d’un arsenal de sanctions. (...)
En outre, un chef de famille qui ne répondrait pas aux obligations et se verrait « sanctionné ». Ce sont aussi les enfants qui en pâtiront. Il faudra alors activer des aides à l’enfance pour les nourrir, payer le loyer pour éviter l’expulsion ? Engager des informations préoccupantes au titre de la protection de l’enfance ? Mais vraiment, là, on touche le fond. Quelle misère et quelle honte d’en arriver là !
Vers un travail gratuit ?
Au-delà des sanctions, la réforme soulève une question éthique fondamentale : celle d’un glissement vers une forme de travail forcé déguisé. (...)
Ces pratiques posent également un problème structurel : elles mettent en concurrence les allocataires avec des emplois publics ou privés existants, contribuant potentiellement à tirer vers le bas les conditions de travail et les rémunérations. En définitive, cette réforme ne semble pas tant viser l’insertion durable dans l’emploi que la réduction mécanique du nombre d’allocataires inscrits dans les statistiques.
Une stigmatisation institutionnalisée
La mise en œuvre de cette réforme repose largement sur l’automatisation et l’utilisation d’algorithmes pour orienter les allocataires vers des parcours spécifiques. (...)
En tout, 1,82 million d’allocataires (3,65 millions de personnes avec leurs familles) sont concernés. (...)
Cette approche techno-solutioniste renforce un sentiment d’infantilisation et de stigmatisation chez les bénéficiaires. (...)
Fort heureusement plusieurs départements ont choisi et ce depuis plusieurs années une autre voie. Les orientations sont réalisée non pas avec des questions à choix multiples (QCM) mais avec des travailleurs sociaux et des professionnels de l’insertion. Il est à noter aussi que plusieurs département ont pris position contre la logique de sanction.
La solidarité en péril ?
Au-delà de ces critiques techniques et éthiques, cette réforme interroge notre rapport collectif à la solidarité. Le RSA a été conçu comme un filet minimal garantissant un revenu aux personnes sans ressources suffisantes. En conditionnant son accès à des obligations croissantes et en multipliant les contrôles, on s’éloigne progressivement de cette philosophie initiale.
C’est le retour des bons et des mauvais pauvres vus par ceux qui ont le pouvoir de choisir et de décider (...)
Les associations alertent également sur un effet pervers majeur : le risque accru de non-recours. (...)
Repenser l’accompagnement social
Face à ces dérives, plusieurs voix appellent à suspendre la généralisation de cette réforme et à repenser l’accompagnement social dans son ensemble (...)
Ce sont principalement les départements dit « de gauche » qui s’opposent à cette logique. Mais d’autres, comme le Département du Nord, en développant un discours martial sur la chasse aux fraudeurs ou même aux paresseux, voient plutôt une belle opportunité de réduire leurs dépenses sociales.
Un véritable accompagnement vers l’emploi ne peut se limiter à imposer des obligations ou à multiplier les contrôles. Il doit tenir compte des réalités vécues par les allocataires (...)
Les coûts à engager représentent un enjeu majeur pour la généralisation du dispositif. (...)
Un appel à la mobilisation collective
Cette réforme du RSA n’est pas qu’une question technique ou budgétaire ; elle est profondément politique. Elle reflète une vision réductrice où le retour à l’emploi devient l’unique horizon possible pour sortir de la pauvreté – quitte à ignorer la qualité et la durabilité des emplois proposés. Faut-il aussi rappeler que tous les indicateurs nous montrent un risque d’accroissement du chômage et de récession économique dans les mois et l’année qui vient ?
Pourtant, comme le rappellent ATD Quart Monde et Aequitaz dans leur rapport commun, « on est actif même quand on vit hors emploi ». Les allocataires participent déjà à la société par leurs engagements familiaux, associatifs ou communautaires – souvent invisibles, mais essentiels. Reconnaître ces contributions serait un premier pas vers une politique sociale plus juste et inclusive.
Il est temps que travailleurs sociaux, décideurs politiques et citoyens se mobilisent pour défendre une autre vision du RSA : celle d’un droit inconditionnel garantissant dignité et autonomie aux plus vulnérables. Car au-delà des chiffres et des statistiques, c’est bien notre pacte social qui est en jeu. (...)