
[Défendre les services publics] Pour disposer de services publics ambitieux et universels, il ne faut pas seulement dépenser mieux, mais plus. Un choix utile pour l’avenir et bénéfique pour la cohésion sociale.
« L’addiction » à la dépense publique, voilà l’ennemi. Cet anathème aura servi de fil rouge aux débats sur les discussions budgétaires automnales. Ceux qui le profèrent feignent d’ignorer que les allègements de cotisations et les baisses d’impôts expliquent largement le creusement du déficit depuis 2017 – 62 milliards d’euros par an selon la Cour des comptes.
Or, ces dépenses publiques, qu’il s’agit aujourd’hui de réduire, financent en bonne part les services publics. A hauteur de combien ? La réponse n’a rien d’évident (...)
Un projet de société
« Les gouvernements successifs qui veulent tailler dans les dépenses publiques et débureaucratiser sont incapables de dire à quels services publics ils veulent renoncer », souligne Johan Theuret, du think tank Sens du service public. De fait, on le sait, dans les écoles, les hôpitaux, les tribunaux ou la police, les services publics vont mal. Tailler dans leur financement ne fera qu’augmenter la casse. Avec des conséquences dommageables.
D’abord, parce que les services publics ne sont pas seulement des prestations fournies à la population. Ils sont un projet de société, qui consiste à mutualiser des moyens pour produire des biens et des services utiles à tous. En cela, ils jouent un rôle fondamental dans la cohésion sociale : chacun participe, par ses impôts, à leur financement, et reçoit selon ses besoins (envoyer ses enfants à l’école, se faire opérer, régler un litige…).
Les services publics jouent aussi un rôle clé dans la redistribution, comme l’a montré l’Insee 2. (...)
Les services publics jouent aussi un rôle économique. Selon l’Insee, en 2023, ils ont contribué pour un cinquième (18 %, soit 466 milliards d’euros) à la valeur ajoutée nationale, c’est-à-dire au produit intérieur brut (PIB). Les activités régaliennes en représentent 37 %, l’enseignement 24 % et la santé 16 % 3. Les dépenses publiques ne sont donc pas que de la redistribution et des transferts entre ménages. De plus, pour se développer correctement, les entreprises ont intérêt à avoir des services publics qui fonctionnent : des routes praticables, un système d’enseignement qui donne un bon niveau de formation, un système de santé efficace, etc.
Pourquoi il faut dépenser plus (...)
la France compte encore bon nombre de jeunes qui quittent le système scolaire sans diplôme. (...)
En matière de santé, chaque année amène son lot de patients qui meurent seuls dans un couloir d’hôpital. Les études ont montré qu’une nuit passée aux urgences sur un brancard augmente de 40 % le risque de mortalité hospitalière (...)
Ça ne va pas mieux du côté de la justice : en 2023, la durée moyenne de traitement d’une affaire au fond, au civil, devant un tribunal judiciaire, est de plus de huit mois, selon les données du ministère de la Justice. En appel, le délai moyen est de près de quatorze mois, soit plus d’un an (...)
Même chose du côté de la protection sociale et de l’accès aux droits sociaux : le taux de non-recours au minimum vieillesse est de 50 %, de 34 % pour le RSA et de 30 % pour l’assurance chômage, selon la Drees et la Dares. Les déterminants du non-recours sont complexes. Ces chiffres élevés témoignent néanmoins des difficultés à accéder à ses droits aujourd’hui encore en France.
Fort de ces constats, il semble indispensable de dégager des marges de manœuvre pour financer des services publics dignes de ce nom, qui ne laissent personne au bord du chemin ; des services publics universels et ambitieux. Comment s’y prendre et jusqu’où aller ? (...)
Le bon niveau de dépenses, un choix politique (...)
Déterminer le « bon » niveau de dépenses n’est en effet pas une question technique, mais relève de choix et de priorités politiques. La question mérite d’être tranchée dans le cadre d’un débat démocratique.
Il y a cependant des urgences, au premier rang desquelles l’urgence climatique. (...)
« Economiquement, le but des services publics est de répondre aux besoins d’une population. Il est possible de déterminer ces besoins en observant la démographie d’un pays », analyse l’économiste Elvire Guillaud. Veut-on se donner les moyens de prendre en charge une population vieillissante et davantage touchée par les maladies chroniques ? Insuffler des politiques en faveur de la jeunesse ? En 2019, le rapport Libault estimait à près de 10 milliards d’euros supplémentaires par an les dépenses à engager pour la dépendance.
L’économiste Elise Huillery a participé à des travaux qui évaluent à 15 milliards d’euros les besoins de financement pour l’éducation (...)
Pourquoi on en a les moyens
Où trouver cet argent ? Le PCF, comme le Parti de la gauche européenne qui rassemble plusieurs partis de gauche en Europe, défend l’idée qu’il faut d’abord des avances de développement réalisées par le biais d’un fonds européen dédié aux services publics, et abondé par de la création monétaire, émanant de la Banque centrale européenne. Cette option ne paraît pas la plus facilement réalisable à court terme.
« Les études montrent qu’il existe des marges de manœuvre pour augmenter les recettes en vue de réparer les services publics, y compris si l’on veut réduire le déficit », pointe Elvire Guillaud. (...)
L’air du temps fait entendre une autre petite musique. L’urgence et les leviers pour investir dans les services publics existent pourtant bel et bien, à condition de s’en donner les moyens. (...)