
Des milliers de personnes à la rue à Marseille et tout autant de logements vides. Face à cette situation absurde, un collectif d’élu·es, d’associations et d’organisations politiques exige du maire qu’il exerce son pouvoir de réquisition. Simple mesure d’urgence ou prémices de l’abolition de la propriété privée lucrative ?
(...) ici à Marseille, entre 15 et 20 000 logements sont vides depuis plus de deux ans, et plus de 16 000 personnes se sont retrouvées à la rue au cours de l’année dernière. Alors dans la salle, l’exercice de communication parfaitement maîtrisé de Sophie Camard n’a pas convaincu tout le monde. À deux reprises, des petits trublions lui demandent si la mairie ne dispose pas d’outils plus « coercitifs » et notamment d’un droit de « réquisition ». Un mot à ne visiblement pas prononcer devant l’élue qui troque son sourire contre une exaspération non feinte : « On n’attend pas la réquisition, qui est très longue et très compliquée, pour pouvoir maîtriser des immeubles, ce n’est pas forcément le chemin qu’il faut prendre, même s’il est soi-disant le plus radical. » (...)
Si la tête de liste du Printemps marseillais s’emporte ainsi, c’est que depuis cinq mois le Collectif Réquisition, composé d’élu·es municipaux et d’associations réclame de la mairie la réquisition des bâtiments vides pour mettre à l’abri des personnes. Quelques écolos, des Insoumis, des autonomes et des militant·es associatifs ont ainsi pris au sérieux la promesse de campagne du Printemps marseillais d’« identifier, remettre en location ou aider à la remise en location des logements vides, sous peine de mise en œuvre des procédures légales de réquisition ». Une élection remportée et cinq années de mandat plus tard, la mesure ne fait plus du tout partie du programme du maire Benoît Payan. « La mise en œuvre de la réquisition ne constitue pas […] une solution évidente qui permettrait de loger dignement les Marseillaises et les Marseillais », écrivait-il en février 2025 dans un courrier adressé au Collectif Réquisition. Pour lui forcer la main, les militant·es ont bien conscience qu’ils et elles ne pourront pas se contenter de traditionnelles manifestations. « Il faudra que l’on aille jusqu’à occuper nous-même un bâtiment vide, sans cela le maire ne bougera pas », affirme Aïcha Guedjali, conseillère municipale déléguée à la lutte contre l’habitat insalubre et membre du collectif. Comme un premier pas, le 20 juin dernier, le Collectif Réquisition organise une action symbolique : au moment où se tient le conseil municipal, iels ouvrent un immense bâtiment vide depuis plusieurs années, situé au 62 rue de la République, pour en exiger la réquisition. Il appartient au bailleur social Unicil et à un fonds de pension, la SCI Marseille City. L’événement, bon enfant et qui ne visait pas, faute de moyens humains, à occuper durablement le lieu, a été écourté par la maréchaussée, peu encline à célébrer cet éphémère moment de réappropriation de la ville par ses habitant·es. Histoire de rappeler à tout ce petit monde qu’en France, la propriété privée, c’est sacré, plusieurs militant·es sont emmené·es au poste, et une, jusque devant le juge. (...)
De l’actuel préfet des Bouches-du-Rhône Georges-François Leclerc, qui partage avec Darmanin une grande proximité idéologique et (in)humaine, le Collectif Réquisition n’attend pas grand-chose. C’est pourquoi ils et elles ont plutôt choisi de concentrer leurs efforts sur Benoît Payan, dont le pouvoir d’expropriation est pourtant beaucoup plus restreint que celui du préfet. En effet, les réquisitions municipales sont soumises à la double condition de l’existence d’une situation d’urgence et d’un trouble à l’ordre public lié au manque de logements. Or, la caractérisation de ces deux notions est laissée à l’appréciation du maire, d’abord, mais surtout, en dernière instance, à celle du juge lorsqu’il est saisi pour contester l’arrêté de réquisition. Et en la matière, une décision a laissé des marques. (...)
En finir avec le logement comme rente
Alors pourquoi tout ce bazar auprès du maire si l’on sait déjà que, dans tous les cas, le préfet et les tribunaux ne vont pas laisser faire ? « Déjà parce cela permettrait de remettre le sujet dans le débat public et de loger des personnes à la rue pendant quelques mois, le temps que l’expulsion soit effective », répond Aïcha Guedjali, l’une des rares élues au sein de la majorité municipale à soutenir la réquisition. « Ensuite parce que ce serait l’occasion d’engager un bras de fer avec l’État sur cette question. Si on ne met pas en place un rapport de force pour rendre effectif le droit au logement, on n’y arrivera pas. Nous ce que l’on veut, c’est qu’un peu partout en France, les maires utilisent cet outil2. » En jeu, le renversement de la hiérarchie entre le droit sacralisé de la propriété privée et celui piétiné du droit au logement. (...)
ement du domaine de la propriété privée lucrative ». Une urgence, alors que le nombre de personnes sans domicile a doublé depuis 2010 en Europe sous l’effet conjoint des crises, du déclin de l’État providence et de la financiarisation du marché de l’immobilier.