
C’était il y a 236 ans exactement. Dans la nuit du 4 au 5 août 1789, la France connaissait un basculement inédit. C’est la fameuse nuit de « l’abolition des privilèges ». Un peu d’histoire.
Avant l’abolition des privilèges, la France est entrée dans un processus révolutionnaire depuis plusieurs mois. Des émeutes et des révoltes ont lieu en divers endroits, par exemple à Rennes, Grenoble, ou dans les campagnes contre les seigneurs locaux. Des revendications remontent de partout sous forme de « cahiers de doléances ».
Le Roi a convoqué des représentants des trois « ordres » – le clergé, la noblesse et le Tiers-État – à Versailles, une procédure destinée à lever des impôts pour financer les guerres de la France, mais qui provoquent une vive agitation politique et sociale : ces États généraux se transforment en Assemblée constituante. Le 14 juillet, le peuple parisien prend les armes et attaque la Bastille, symbole de la répression royale. L’été s’annonce bouillant. Mais contrairement à ce que beaucoup imaginent, ce n’est pas la prise de la Bastille qui bouleverse vraiment la situation, c’est le soulèvement des paysans.
À cette époque la France est un pays rural. L’immense majorité de la population est à la campagne et cultive la terre. La paysannerie se soulève régulièrement depuis plusieurs décennies, notamment contre la pression fiscale – qui est un racket des nobles et du clergé – ou contre les abus de pouvoir des seigneurs, et subit à chaque fois une répression atroce. Mais cet été 1789, ces émeutes paysannes, appelées « jacqueries » vont prendre une ampleur inédite. (...)
Les paysans récupèrent les documents où sont rédigés les « droits » des seigneurs à opprimer leurs sujets – ces documents sont appelés « terriers » – et les brûlent.
Parfois, ce sont les châteaux qui sont directement pillés et incendiés. On récupère le grain pour faire du pain, on s’autorise à chasser sur les terres du seigneur pour se nourrir, ce qui était formellement interdit. Parfois, le noble du coin est violenté ou humilié, voire exécuté. On se marre, on boit, car il y a une dimension festive. Ces événements insurrectionnels ont lieu simultanément et spontanément aux quatre coins du pays, à une époque où, pourtant, les informations circulent beaucoup plus lentement qu’aujourd’hui.
Le message est très clair : en brûlant les châteaux et en détruisant les terriers, les paysans expriment partout le souhait de supprimer la féodalité. Les nobles sont terrorisés, certains fuient le pays. La peur change de camp. Ça devient sérieux.
Les nouvelles remontent à Paris. À l’Assemblée, les députés commencent à flipper sévère. Ils imaginent les campagnes à feu et à sang. Que faire pour stopper cet incendie incontrôlable ? Quelques nobles blêmes prennent la parole : la seule solution pour calmer la plèbe enragée est de renoncer collectivement aux privilèges.
Pendant toute la nuit, les aristocrates défilent à la tribune et déclarent qu’ils renoncent à leurs propres droits féodaux. Impôts, droits de chasse, pensions militaires ou ecclésiastiques… tout y passe. Imaginons une assemblée de patrons et de députés terrorisés par une insurrection, qui demanderait d’elle-même le retour de l’ISF, renoncerait aux parachutes dorés, à l’impunité et aux paradis fiscaux… Drôle de nuit. Symboliquement, c’est la fin de l’Ancien Régime et de la société d’ordres.
Après coup, les députés se rendent compte qu’ils se sont un peu emballés. Dans les textes, ils vont bien veiller à protéger le droit de propriété et vont instaurer le rachat les droits féodaux. Ce qui, en pratique, conduit à leur maintien, puisque les paysans n’ont pas les moyens de racheter ces droits aux nobles qui les possèdent. La déception sera grande. Les droits féodaux ne seront réellement abolis qu’en 1792, avec la chute de la monarchie et de nouvelles journées insurrectionnelles particulièrement corsées.
Le bilan de cette histoire ? Lorsque la peur change de camp, tout est possible. (...)
Ceci étant dit, cette nuit décisive ne signifie pas pour autant l’abolition réelle de l’Ancien Régime, qui ne s’effondrera que de haute lutte. Et en 2025, il reste encore bien des forteresses à prendre et des privilèges à faire tomber…