
Six personnes sont renvoyées devant la cour d’assises spéciale pour l’attentat contre le restaurant Goldenberg en 1982. Les notes déclassifiées de la présidence de la République et de la Direction de la surveillance du territoire prouvent qu’un « marché » a été conclu par l’État français avec Abou Nidal après l’attentat.
« M’en parler », « Me consulter », signé « FM ». C’est ainsi que le président de la République François Mitterrand a posé son visa, entre 1983 et 1987, sur des notes de Gilles Ménage, son directeur de cabinet adjoint, qui formalisent un « pacte secret » entre la France et le groupe Abou Nidal, qui vient de commettre l’attaque du restaurant Jo Goldenberg, ayant fait six morts et vingt-deux blessés, rue des Rosiers à Paris, le 9 août 1982.
Alors que l’enquête judiciaire montre rapidement l’implication dans l’attentat du Fatah-Conseil révolutionnaire (CR), l’organisation de Sabri al-Banna – alias Abou Nidal –, les chefs de la division antiterroriste de la Direction de la surveillance du territoire (DST, aujourd’hui DGSI) reçoivent la consigne de négocier avec le groupe terroriste, selon les notes déclassifiées obtenues par les juges chargés de l’enquête sur l’attentat de la rue des Rosiers.
Moyennant la promesse de ne plus frapper la France, le groupe Abou Nidal obtient beaucoup : la libération anticipée de deux de ses membres condamnés pour l’assassinat en 1978 du représentant de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) à Paris ; la possibilité pour un représentant d’avoir un bureau secret, voire d’y gérer des sociétés commerciales ; et l’assurance de sa sécurité. (...)
En effet, ce n’est qu’en août 2001, soit dix-neuf ans après l’attentat, que la DST a transmis aux juges d’instruction un premier rapport « mentionnant l’identité de plusieurs individus », suivi en 2006 et 2008 de différents rapports relatifs à la localisation de différents suspects.
Ces procès-verbaux de renseignement ont été établis « sur la base de nombreuses notes à l’époque encore classifiées de la DST, contenant des informations déterminantes pour la résolution de l’enquête », « à une époque où ce service avait conduit des échanges secrets avec le groupe Abou Nidal visant à éviter de nouvelles attaques sur le sol français », a relevé le Pnat, dans son réquisitoire.
« Il avait ainsi fallu attendre de nombreuses années, l’affaiblissement de la menace représentée par le groupe Abou Nidal, pour que le matériel contenu dans ces notes soit porté à la connaissance de l’autorité judiciaire », souligne le parquet.
Ce n’est ensuite qu’en 2011, dix ans plus tard, que les juges obtiennent d’interroger plusieurs sources clés du contre-espionnage français, notamment l’ancien porte-parole du groupe, Atef Abubaker, qui leur permet d’identifier les auteurs de l’attaque de la rue des Rosiers. (...)
Si aucune « impunité » n’a été signalée noir sur blanc, les comptes rendus par la DST de ses contacts avec le groupe sont vierges de tout acte d’enquête ou de renseignement de nature à clarifier ou à établir la responsabilité du groupe Abou Nidal dans l’affaire de la rue des Rosiers. Le sujet ne semble avoir été évoqué qu’une seule fois, en 1984, auprès de l’un des émissaires du groupe, qui a rejeté la paternité de l’attentat sur un autre « groupe armé ».
En 1982, dans les jours et les semaines qui suivent l’attentat parisien, les enquêteurs comme les services de sécurité français ont la conviction, puis des preuves, que l’opération terroriste est bien le fait du groupe Abou Nidal. Le mode opératoire, les cibles, un restaurant et un quartier de la communauté juive, et les armes utilisées désignent le Fatah-CR. (...)
De nombreux rapports des services secrets établis après 1987 sont encore classifiés. Et plusieurs épisodes des marchandages de l’État français avec Abou Nidal restent encore dans l’ombre.
Entendus par les juges, Raymond Nart, l’ancien sous-directeur de la DST, et les anciens chefs de la division antiterroriste du contre-espionnage, Jean-François Clair et Louis Caprioli, ont opposé le secret-défense, le secret professionnel et leur « droit au silence ».
« Jamais je n’ai “enterré” le dossier de l’attentat de la rue des Rosiers. Jamais je n’ai reçu d’instruction dans ce sens. Aucun attentat n’a été oublié, ni aucune victime “sacrifiée” », s’est défendu Louis Caprioli.