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Mediapart
Scandale des eaux et des forages : Nestlé reconnaît sa responsabilité mais pourrait échapper à un procès
#Nestle #eaux #forages #contrex #vittel
Article mis en ligne le 9 septembre 2024
dernière modification le 6 septembre 2024

Au terme des enquêtes visant Nestlé pour des forages illégaux et le traitement frauduleux des eaux minérales, le procureur d’Épinal a, selon une information de Mediapart, opté pour une procédure de justice négociée. La multinationale échappera ainsi à un procès si le juge valide mardi l’accord.

Comment la multinationale Nestlé a-t-elle pu avoir recours à des traitements interdits pour purifier ses eaux vendues comme « minérales naturelles » pendant quinze ans, fraude qui lui a rapporté 3 milliards d’euros ? Comment Nestlé a-t-elle pu, de 1992 à 2019, prélever de l’eau qu’elle commercialisait sans autorisation ? Quels sont les préjudices pour les ressources en eau de la région et les pertes financières pour l’État ?

Si Nestlé était dispensée de procès, toutes ces questions portant sur la plus grande fraude en matière d’eau minérale et d’exploitation des ressources en eau en France ne seraient ni débattues dans une salle d’audience ni relayées par les médias. C’est cependant ce que propose le procureur de la République d’Épinal (Vosges), Frédéric Nahon, selon les informations de Mediapart. La décision judiciaire sera rendue mardi à l’issue de deux enquêtes préliminaires visant la multinationale pour des forages illégaux et pour le traitement frauduleux des eaux minérales.

Une aubaine pour le nouveau PDG, le Français Laurent Freixe, nommé en catimini durant l’été afin d’éteindre les multiples scandales qui ternissent l’image du numéro un mondial de l’agroalimentaire. (...)

Au regard des conclusions d’enquêtes, qui, comme nous l’avions révélé précédemment, sont accablantes, il était difficile de plaider non coupable pour la multinationale.

D’une part, les enquêteurs de l’Office français de la biodiversité (OFB) révèlent, dans leur rapport, que pendant vingt-sept ans, la multinationale a, hors de tout cadre légal, prélevé l’eau de neuf forages, dont cinq pour les eaux Contrex et Vittel. (...)

Traitements interdits

Cette surexploitation des nappes phréatiques a provoqué un assèchement récurrent et « des perturbations des cycles hydrologiques des eaux superficielles », entraînant dans certains villages des ruptures d’approvisionnement. Plusieurs délits sont retenus à l’égard de Nestlé, dont la mise en place, l’exploitation de forages et l’exercice d’une activité nuisible à l’eau, tous commis par l’industriel sans autorisations. Certains de ces délits sont passibles de deux ans de prison.

Dans le cadre d’une convention judiciaire d’intérêt public (CJIP), s’agissant de personnes morales, seules des amendes sont prononcées, la responsabilité des dirigeants ou de toute personne mise en cause dans la commission du délit n’étant pas abordée dans cette procédure. (...)

Dans le cadre de la deuxième enquête pour « tromperie par personne morale sur la nature, la qualité, l’origine ou la quantité d’une marchandise », les investigations du service nationale d’enquête de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) établissent que, pour ses eaux commercialisées sous les marques Contrex, Hépar et Vittel, Nestlé a eu recours à des traitements interdits depuis au moins 2005, voire 1993 pour certaines.

Ces techniques de purification étaient permanentes, en raison, notamment, de contaminations bactériennes ou chimiques fréquentes. Les procédés utilisés, tels que l’utilisation d’UV, de filtres à charbon actif ou de microfiltres (en deçà de 0,8 µm), sont uniquement autorisés pour l’eau du robinet ou les « eaux rendues potables par traitements ». Ils sont strictement interdits pour les « eaux minérales naturelles » et les « eaux de source », qui ne doivent pas subir d’opérations modifiant leur composition.

La multinationale a ainsi vendu plus de 18 milliards de bouteilles d’eau dont la qualité équivalait à celle de l’eau du robinet, mais à un prix près de cent fois supérieur. La fraude est estimée à 3 milliards d’euros. (...)

le recours à des traitements interdits pour les eaux commercialisées sous la dénomination « minérales naturelles », constitutif du délit de tromperie, prévu par le Code de la consommation, ne fait pas partie des délits pouvant faire l’objet d’une CJIP. En d’autres termes, pour ce délit, il ne semble pas possible d’exonérer Nestlé d’un procès, sauf à jouer sur la « connexité » des délits, ayant été commis par le même auteur, durant la même période et sur le même lieu.

Interrogé sur cette lecture particulière du droit, le procureur de la République d’Épinal ne nous a pas répondu. (...)

Réparation du préjudice écologique

Les cinq associations, parmi lesquelles Vosges Nature Environnement, France Nature Environnement et Lorraine Nature Environnement, dont la plainte est à l’origine de l’enquête sur les forages illégaux, regrettent l’absence de procès mais estiment que « faire comparaître Nestlé dans le cadre d’une CJIP valide et confirme le travail et les forts soupçons évoqués en vain, depuis près de dix années auprès des différentes structures étatiques, commente leur avocat François Zind. Cette procédure permet de sanctionner rapidement l’entreprise. Ce volet financier n’est rien d’autre qu’une application directe du principe pollueur-payeur ».

Dans le cadre de cette procédure, le préjudice moral a été chiffré, par l’avocat des associations, à 560 000 euros, « une somme sans commune mesure, ni avec l’ampleur et la gravité des agissements sur plusieurs décennies, ni avec les bénéfices de la multinationale », poursuit-il, précisant qu’en 2023, Nestlé affichait un chiffre d’affaires de 93 milliards d’euros. (...)

La condition posée à Nestlé par les associations, « au cœur de leur action et des négociations de la CJIP, est que soient enfin réalisées une étude d’impact globale, de l’état de la ressource en eaux, des trois nappes concernées et une évaluation du préjudice écologique » (...)

Un engagement qui ne garantit pas à ce stade que les associations soient consultées pour la mise en place de l’étude d’impact. « Nous nous battrons pour », conclut l’avocat spécialiste de l’environnement.

En revanche, aucune négociation n’est envisagée pour l’ONG de défense des consommateurs Foodwatch, qui a porté plainte contre Nestlé concernant le traitement frauduleux des eaux minérales naturelles. Contacté, l’avocat de l’ONG, François Lafforgue, conteste la CJIP, « qui est contraire au droit » (...)

L’association de consommateurs UFC-Que Choisir, étant partie civile dans la procédure concernant les techniques interdites utilisées pour purifier l’eau, « ne souhaite pas s’exprimer sur le sujet avant l’audience de mardi », a fait savoir son service de presse.