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Club de Mediapart/ Mašina Revue serbe - Droit du travail, luttes ouvrières, mouvements sociaux
Serbie : le peuple sera ce que nous définissons
#Serbie #democratie
Article mis en ligne le 10 juillet 2025
dernière modification le 9 juillet 2025

La réalité sociale, et donc politique, en Serbie est en pleine mutation. Quiconque souhaite influencer l’évolution des événements ne peut le faire qu’en s’engageant directement là où ces changements se produisent, auprès de la population, dans la rue. Par l’organisation, la lutte et le travail de terrain.

La grande manifestation de Vidovdan (fête nationale serbe), organisée par le mouvement étudiant, a marqué un tournant dans l’organisation et le mode d’action, non seulement des étudiants, mais aussi de la population en général.

à l’heure actuelle, tous les projets, avis extérieurs sur les mesures à prendre, propositions technocratiques de solutions et visions « objectives » des situations pèsent inutilement sur l’auto-organisation civique en Serbie. La pratique de l’action politique commune, l’organisation de barricades dans les agglomérations et dans presque toutes les grandes villes, et le refus affiché d’obéir aux ordres sont un signal clair que quelque chose de nouveau est en train de naître.

Quoi exactement ? Il est impossible de répondre à cette question, et un esprit individuel, exclu de l’organisation sociale, de la rue et des forums similaires, ne peut nous la donner. Cette nouveauté sera le fruit d’une action collective et pourra prendre diverses directions, dont certaines nous seront peut-être moins familières. Et c’est là toute la beauté de la démocratie. (...)

À tout le moins, on peut s’attendre à ce qu’il ne s’agisse pas seulement d’un changement de personnalités aux postes de pouvoir, mais que de nouvelles pratiques démocratiques, en cours d’émergence et de mise en pratique, soient institutionnalisées et intégrées au nouveau système politique. Le langage des plénums et des assemblées s’est répandu dans toute la société, et les procédures établies dans ces forums sont appliquées sur les barricades elles-mêmes. Grâce au réseau d’assemblées et de groupes de « blocage » organisés au niveau local ces derniers mois, une réaction aussi rapide et massive a été possible dès le lendemain de la manifestation. La communication entre les assemblées et les groupes de militants de différentes municipalités et l’échange rapide d’informations sur les blocages de points clés sont étonnants.

Cela ne signifie pas que l’architecture institutionnelle existante soit totalement inutile, ni que les partis politiques devraient être dissouts au profit d’autres initiatives, mais plutôt qu’une telle forme d’action n’a pas été suffisamment efficace dans la lutte contre le régime et n’a pas réussi à mobiliser un nombre suffisant de personnes. Il a été démontré que d’autres formes d’organisation sont plus efficaces et combatives, et que leur rôle devrait être reconnu à l’avenir. Il est loin d’être nécessaire de suivre aveuglément, sans critique, tout ce que les étudiants ont fait, ni d’affirmer qu’il n’y a pas eu d’injustices envers divers acteurs, en premier lieu ceux arrêtés avant la manifestation du 15 mars. Une partie importante de ces injustices a été corrigée par la suite. L’essentiel est le résultat : le coup le plus dur porté au régime ces treize dernières années, conséquence de la subjectivation politique de larges couches de la population.

Et il en fallait si peu, et pourtant tant. Les masses qui suivaient les voix des étudiants depuis des mois (volontairement plurielles car plus nombreuses et souvent dissonantes) et s’organisaient sporadiquement pour les suivre, s’organisent désormais, littéralement, dans tous les quartiers de la ville, chacun dans son quartier, en une citoyenneté consciente qui exprime clairement sa propre volonté. La revendication est la convocation d’élections parlementaires anticipées, afin de jeter les bases d’une reprise sociale. Des mois auparavant, une organisation démocratique jusqu’alors inhabituelle, d’un type impensable il y a huit mois, avait été discutée et mise en pratique. (...)

Les élections locales de Zaječar et Kosjerić, ainsi que les arrestations massives des jours suivant Vidovdan, montrent clairement que le pouvoir ne se maintient que par la force brute et la corruption massive de la population. Un nouveau peuple a désormais émergé, tourné vers le bien commun et planifiant un avenir commun, sans la clique dirigeante actuelle. (...)

Malgré la diversité des messages et des visions du monde, les mouvements (étudiants et citoyens) ont survécu et semblent aujourd’hui plus forts et plus engagés que jamais. En témoignent les blocages quotidiens dans toutes les grandes villes, la capitale presque entièrement paralysée, et le nombre à deux chiffres d’arrestations quotidiennes. Et il semble parfois que ces messages soient interprétés de manière tendancieuse, comme s’il s’agissait de tentatives de discréditer le mouvement étudiant.

Le régime actuel s’est souvent vanté de ses succès, accomplissant toutes sortes de choses « pour la première fois dans l’histoire ». On peut aussi affirmer sans hésiter que, « pour la première fois dans l’histoire », il a réussi à faire bloquer toute la capitale par son propre peuple (...)

Quant à la forme exacte de cette nouvelle réalité, il nous appartient de la définir et de défendre nos valeurs au sein d’un large mouvement social. En fin de compte, le peuple sera ce que nous définissons. Par l’organisation, le combat et le travail de terrain. Quoi qu’il en soit, il est certain que se plaindre sur les réseaux sociaux et se fermer à des cercles restreints de personnes partageant les mêmes idées produira les mêmes résultats que l’organisation politique avant le 1er novembre dernier.