Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
nextinpact
Six ONG attaquent le règlement de l’UE sur les contenus terroristes en justice
#terrorisme #UE #numerique
Article mis en ligne le 11 novembre 2023
dernière modification le 10 novembre 2023

À la tête d’une coalition de six associations françaises et européennes, la Quadrature du Net attaque le décret d’application de la loi appliquant le règlement européen relatif à la lutte contre la diffusion des contenus à caractère terroriste en ligne. Le but : questionner la validité du règlement européen au regard des textes qui garantissent les droits fondamentaux au sein de l’Union.

La Quadrature du Net, Access Now, Article 19, European Center for Not for Profit Law, European Digital Rights et Wikimedia France se sont associées pour déposer, le 8 novembre, un recours contre le décret qui applique le règlement européen relatif à la lutte contre la diffusion des contenus à caractère terroriste en ligne (Terrorist Content Online Regulation, TERREG ou TCO) devant le Conseil d’État.

Dans son mémoire, la coalition relève que le décret d’application de la loi du 16 août 2022 qui adapte le droit de l’UE « participe à la surveillance des contenus en ligne et porte atteinte à la liberté d’expression en ligne ». Si c’est le décret français qui est attaqué, c’est bien le niveau européen que la coalition vise.

Le Conseil d’État ne pouvant pas déclarer un acte de l’Union invalide, les ONG cherchent en effet à ce que celui-ci transmette à la CJUE une question préjudicielle. En d’autres termes, les six entités, menées par la Quadrature, veulent que le Conseil d’État demande à la CJUE si le TCO est bien valide au regard des droits fondamentaux garantis au sein de l’UE.

Pour rappel, le texte européen adopté en 2021 établit « des règles uniformes pour lutter contre l’utilisation abusive de services d’hébergement pour diffuser au public des contenus à caractères terroriste en ligne ».

Entre autres éléments, il prévoit une logique de censure administrative qui permet à chaque État membre d’accorder à une autorité publique nationale le pouvoir « d’émettre des injonctions de retrait de contenus qui lui paraîtraient être à caractère terroriste » à destination des fournisseurs de services d’hébergement. En France, ces autorités sont l’Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l’information et de la communication (OCLCTIC) et l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM).

Les associations contestent chacun de ces points. (...)

Pas d’analyse d’impact sur la protection des données en amont du décret (...)

Cette absence est « d’autant plus préjudiciable » qu’elle nuit à l’information de la population, et qu’une telle analyse aurait permis aux ministres signataires de « constater que le respect des droits et libertés fondamentaux, notamment le principe de proportionnalité, n’est pas assuré ». (...)

Outre ce point, les six entités attaquent principalement le décret à cause de la menace qu’il représente pour « la liberté d’expression » et pour « le droit au respect de la vie privée et familiale » tels que garantis par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne et la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et libertés fondamentales (CEDH).

Elles argumentent qu’en l’état, le texte contrevient au principe de primauté du droit de l’Union Européenne – précisément parce qu’il applique un règlement qui, lui-même, contrevient aux textes européens.

Définition du caractère terroriste (...)

« Le champ de cette directive est très large et il n’a pas été pensé pour les contenus en ligne, mais pour coordonner la réponse pénale européenne, estiment-elles. Ainsi, risquent de rentrer dans le champ de cette directive des contenus, certes violents, mais dont la gravité ne requière par leur censure, encore moins leur censure sans passer par un tribunal indépendant. » (...)

Injonctions de retrait inadaptées

Sans grande surprise, les injonctions de retrait de contenu concentrent bon nombre des critiques exprimées. Celles-ci peuvent être envoyées aux fournisseurs implantés dans le même État membre que l’autorité concernée et à ceux implantés ailleurs sur le territoire de l’Union. Pour le fournisseur de service d’hébergement, elles impliquent de réaliser le retrait du contenu qualifié de terroriste « dès que possible et, en tout état de cause, dans un délai d’une heure à compter de la réception de l’injonction de retrait ».

Problème, pointent les ONG : la rapidité de ce délai « rend, en pratique, impossible pour le fournisseur de service d’hébergement d’évaluer correctement » le caractère terroriste du contenu en question. Ce délai « n’est pas non plus suspendu en cas de recours », et ne permet donc pas de faire vérifier le caractère terroriste d’une publication par un tribunal indépendant.

Contenus terroristes : comment le Conseil constitutionnel a validé le retrait en une heure (2022) (...)

l’évaluation des publications échoit à « l’interprétation » qu’en font les autorités administratives capables de produire les injonctions de retrait. La coalition d’ONG regrette que le TCO ne prévoit aucun contrôle de ces interprétations par une autorité indépendante, d’autant que le « traitement de données relatives à des contenus » supposés terroristes « est susceptible d’être massif ».

Déjà présent en France dans la Loi visant à lutter contre les contenus haineux sur internet, que d’aucuns connaissent sous le nom de Loi Avia, ce point avait été censuré par le Conseil constitutionnel le 18 juin 2020. La raison : il portait « une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression et de communication ».

Cyberhaine : la loi Avia largement censurée par le Conseil constitutionnel (2020)

Les ONG indiquent donc au Conseil d’État que les conclusions du Conseil constitutionnel « s’appliquent parfaitement » au cas du règlement TCO.

Action disproportionnée des fournisseurs de services (...)

Pour obliger un fournisseur de service d’hébergement à prendre des mesures spécifiques, le règlement européen énonce actuellement que l’autorité compétente doit se fonder « sur des facteurs objectifs, tels que la réception par le fournisseur de services d’hébergement de deux injonctions de retrait définitives ou plus au cours des 12 derniers mois. »

Les associations pointent qu’une telle définition est « particulièrement large ». Partant, le pallier de deux injonctions risque « d’être atteint pour la grande majorité des fournisseurs de services d’hébergement, peu importe leur taille ».

Par ailleurs, elles qualifient les mesures autorisées par le règlement de « particulièrement intrusives », au point de risquer la création d’« une surveillance généralisée des contenus en ligne ». En cause : la formulation du texte européen, qui vise notamment à « identifier » des contenus à caractère terroriste, qui peuvent être de nouveaux contenus inconnus jusqu’alors du fournisseur de services d’hébergement ».

La coalition note que, si la directive sur le commerce électronique a permis à un « un tribunal d’enjoindre un hébergeur de retirer dans le futur les contenus identiques et les contenus équivalents à celui objet de la demande initiale », cette possibilité a été « fortement encadrée » pour éviter la surveillance généralisée. Elles s’alarment de l’absence précaution similaire pour le TCO. (...)

La coalition d’associations conteste, aussi, le fait que le choix des mesures à adopter par les fournisseurs de services d’hébergement, s’ils étaient qualifiés « d’exposé à des contenus à caractère terroriste » par les autorités compétentes, soit fait « à la discrétion » desdites entreprises.

Elle estime, enfin, qu’en se contentant « de renvoyer aux droits nationaux », le TCO (et le décret visant à son application au droit français) ne fournit pas le droit de recours effectif garanti par les textes européens.

Décentraliser pour mieux modérer

« La question de la modération des contenus en ligne est grave et la réponse ne peut être une censure policière technosolutionniste, simpliste mais dangereuse », déclare Bastien Le Querrec, juriste à La Quadrature du Net, dans le communiqué des six associations.

Auprès de Next INpact, il élabore : en matière de modération, la Quadrature défend « le principe d’interopérabilité des réseaux sociaux ». L’interopérabilité permettrait de décentraliser l’offre de services d’hébergement, « donc de permettre aux utilisateurs de quitter les plateformes qu’ils jugent toxiques » sans perdre les contacts qu’ils y auraient noués. (...)

À terme, ceci permettrait de « faire émerger des politiques de modération plus légitimes, plus près des utilisateurs ». Comme ils ne fonctionneraient pas nécessairement sur une hiérarchisation algorithmique des contenus, explique Bastien Le Querrec, les modèles de réseaux alternatifs éviteraient de devoir recourir à la censure, qui « a des effets de bord très importants sur la liberté d’expression ».