La répression systématique des manifestations populaires en solidarité avec la Palestine exercée par quatre États occidentaux a amené la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) à y dédier un rapport. Celui-ci pointe une « atteinte à l’état de droit ».
Mi-octobre 2025, la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) publie un rapport majeur sur un phénomène devenu global : la répression du mouvement de solidarité avec la Palestine. À travers l’étude des États-Unis, du Royaume-Uni, de l’Allemagne et de la France, l’organisation montre comment gouvernements, institutions et médias ont peu à peu réduit au silence les voix dissidentes, criminalisé les soutiens au peuple palestinien et verrouillé le récit sur Gaza.
Fondée sur des sources ouvertes et de nombreux témoignages, l’enquête révèle un tournant inquiétant : le rétrécissement de l’espace civique au sein même de régimes se réclamant de la liberté d’expression. La FIDH, dont René Cassin2 fut l’un des dirigeants historiques, rappelle que c’est l’esprit même de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 qui est aujourd’hui mis à mal. Car derrière la répression de la solidarité avec la Palestine, c’est la possibilité même de contester un ordre politique et de penser librement qui se trouve menacée.
Dans son rapport, la FIDH montre que le contrôle du récit autour de Gaza s’opère à travers trois lignes convergentes : la mise sous surveillance des médias, la répression dans les universités et l’encadrement idéologique du langage. (...)
une vaste étude menée sur plus de 14 000 articles du New York Times, de la BBC et de CNN montre l’humanisation systématique des victimes israéliennes, la présentation abstraite des Palestiniens, le doute constant projeté sur leurs bilans et la fabrication d’un « faux équilibre » malgré l’asymétrie des violences.
La pression est également directe : journalistes sanctionnés par leur direction ou harcelés pour avoir exprimé leur solidarité, recours croissant aux procédures judiciaires en France contre des humoristes, journalistes ou intellectuels, créant un climat d’autocensure. Également en cause, la censure numérique, comme les shadow bans imposés par Meta, qui invisibilise les contenus palestiniens et limite l’accès du public à des sources alternatives. (...)
L’université n’est pas épargnée. Aux États-Unis, des arrestations massives d’étudiants, des sanctions disciplinaires et la répression des recherches critiques sur la Palestine témoignent d’un système structuré de contrôle, renforcé par la dépendance financière des campus et par le diktat de politiques « anti-haine » utilisées pour neutraliser toute critique d’Israël. En France, les épisodes de répression à la Sorbonne ou Sciences-Po et les injonctions à la « réserve institutionnelle » montrent la volonté de dépolitiser l’espace académique et d’y limiter la liberté intellectuelle, pourtant fondement de la vie démocratique.
L’annulation par le Collège de France du colloque « La Palestine et l’Europe » en constitue une illustration supplémentaire, particulièrement inquiétante. (...)
Enfin, le rapport montre que la bataille se joue dans l’usage de la langue. Un exemple majeur est l’adoption de la définition de l’antisémitisme proposée par l’Alliance internationale pour la mémoire de l’Holocauste (IHRA). Conçue comme un outil pédagogique, elle est politiquement utilisée pour assimiler critique d’Israël et haine antijuive, brouillant la distinction fondamentale entre analyse politique et racisme.
Cette confusion permet d’interdire des événements, de sanctionner des associations, de criminaliser la campagne Boycott, désinvestissement et sanctions (BDS) ou de disqualifier tout propos abordant le caractère colonial ou racial des politiques israéliennes. Loin de protéger les communautés juives, cette instrumentalisation détourne la lutte contre l’antisémitisme et la transforme en outil de censure politique. (...)
En combinant censure médiatique, pression universitaire et contrôle sémantique, les démocraties occidentales contribuent à produire « un récit hégémonique où la voix palestinienne devient presque inaudible ». Ce verrouillage du sens prépare le terrain à ce que la FIDH décrit comme l’étape suivante : la criminalisation explicite de la solidarité.
Répression de la solidarité
Au nom de la sécurité publique et de la lutte contre le terrorisme, plusieurs pays européens ont progressivement criminalisé la solidarité avec la Palestine. En France comme en Allemagne, les interdictions de manifestations propalestiniennes se sont multipliées depuis octobre 2023.
Ces mesures, pourtant contraires au pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), reposent sur une interprétation abusive du maintien de l’ordre public (...)
La FIDH montre dans son rapport que le principe de proportionnalité est ainsi remplacé par une logique d’exception permanente.
Le discours antiterroriste sert aussi à museler les slogans et symboles politiques. L’expression « From the river to the sea, Palestine will be free » (« Du fleuve à la mer, la Palestine sera libre ») rattachée à l’histoire anticoloniale palestinienne et au droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, a été interdite dans plusieurs pays au motif qu’elle appellerait à la destruction d’Israël. Transformer un mot d’ordre politique en délit d’opinion révèle une dérive plus profonde : la confiscation du sens, l’injonction d’une lecture unique de la solidarité assimilée à la haine, et la restriction de l’espace d’expression des minorités racialisées. (...)
Le rapport de la FIDH documente par ailleurs le recours croissant aux lois antiterroristes pour poursuivre des militants, journalistes ou élus exprimant leur soutien à la cause palestinienne. (...)
Cette criminalisation trouve un terrain fertile dans le climat idéologique français, où la laïcité est instrumentalisée et l’« islamo-gauchisme », brandi comme arme politique. La solidarité avec la Palestine est souvent présentée comme suspecte, voire complice du terrorisme, tandis que l’islamophobie reste minorée comme forme spécifique de racisme. Ces représentations sont d’abord portées par les courants d’extrême droite et identitaires, puis reprises par des partis comme le Rassemblement national, une partie des Républicains et parfois, sous une forme plus euphémisée, par Renaissance. Elles sont largement amplifiées par plusieurs grands médias détenus par de puissants groupes économiques, notamment les chaînes du groupe Bolloré, dont les plateaux d’ « analyse » jouent un rôle central dans leur diffusion. (...)
Le discours de l’extrême droite érige ainsi la Palestine en ligne de fracture entre les « patriotes » et les « alliés du Hamas ». (...)
Une demande mondiale de justice
Les libertés d’opinion, d’expression, de réunion pacifique et d’association constituent pourtant le socle de nos démocraties. Elles sont par ailleurs protégées par le droit international et régional, notamment la Déclaration universelle des droits de l’homme, et permettent aux citoyens de débattre, de défendre des causes et de revendiquer d’autres droits fondamentaux.
À travers le monde, des élans de solidarité citoyenne se sont tout de même multipliés en soutien au peuple palestinien. La Flottille de la liberté pour Gaza ou la Global Sumud Flotilla, entre autres initiatives, ont cherché à pallier l’incapacité des États à lever le blocus illégal et à mettre fin à l’isolement de Gaza. Ces mobilisations révèlent ainsi une demande mondiale de justice, mais également une conscience croissante des violations systématiques du droit international et la nécessité d’une action citoyenne là où les gouvernements restent inactifs ou complices. (...)
Cette répression de la solidarité avec les Palestiniens illustre une crise profonde de nos démocraties et institutions. (...)
les États sapent la portée universelle des droits humains qu’ils prétendent défendre (...)
La montée de ces logiques autoritaires s’inscrit d’ailleurs dans une dynamique plus large, observée aux échelles française, européenne et mondiale, comme l’a documentée un rapport de la Ligue des droits de l’homme avec la FIDH3. Dans ce contexte d’érosion démocratique marquée par la multiplication des restrictions aux libertés publiques, la remise en cause de la légitimité des contre-pouvoirs et la normalisation des dispositifs de contrôle social, le rétrécissement de l’espace civique constitue l’un des symptômes les plus alarmants de l’autoritarisme latent.
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