
Les mouvements sociaux et environnementaux du monde entier se réunissent cette semaine à l’occasion du 3e Forum mondial Nyéléni, alors que le besoin de souveraineté alimentaire n’a jamais été aussi urgent.
L’injustice environnementale et le chaos climatique s’accélèrent chaque jour, sous l’impulsion d’une structure économique néolibérale mondiale ancrée dans le patriarcat et le colonialisme.
Les entreprises agroalimentaires et les sociétés pétrolières aggravent la faim, détruisent la biodiversité, déplacent des populations et empoisonnent des communautés, tout en tirant profit de la crise qu’elles ont elles-mêmes créée.
Moyens de subsistance
Face à cette destruction, la souveraineté alimentaire offre non seulement une résistance, mais aussi une véritable voie vers la survie dans la dignité. Elle est fondamentale pour la justice climatique.
La souveraineté alimentaire a été formulée pour la première fois en 1996 par La Vía Campesina, le mouvement mondial des paysans et des populations rurales. Depuis lors, elle a été adoptée par des milliers d’organisations et de mouvements sociaux à travers le monde.
La Déclaration de Nyéléni de 2007 la définit comme « le droit des peuples à une alimentation saine et culturellement appropriée, produite selon des méthodes socialement justes, écologiquement rationnelles et durables, et leur droit collectif à définir leurs propres politiques, stratégies et systèmes de production, de distribution et de consommation alimentaires ».
Dans la pratique, la souveraineté alimentaire va bien au-delà de la sécurité alimentaire. Il s’agit d’un mouvement politique et d’une voie vivante vers la transformation du système alimentaire défaillant.
Il affirme que l’alimentation est un droit humain et non une marchandise, et place la solidarité, la justice et la vie au-dessus du profit. Il défend la terre, les semences et la biodiversité, reconnaît le rôle central des femmes dans la production alimentaire et exige que les paysans, les peuples autochtones, les pêcheurs et les petits agriculteurs contrôlent les décisions qui déterminent leurs moyens de subsistance et leurs territoires.
Système
Pour comprendre pourquoi la souveraineté alimentaire est essentielle à la justice climatique, il faut d’abord s’interroger sur le rôle de l’agro-industrie dans la crise climatique.
Le système alimentaire mondial, dominé par l’agro-industrie, est aujourd’hui responsable d’un tiers des émissions de gaz à effet de serre.
Ce modèle repose sur les produits agricoles : le soja pour les élevages industriels, l’huile de palme pour les aliments transformés et les biocarburants, et la viande industrielle pour les chaînes d’approvisionnement mondiales. Sa logique est claire : maximiser les profits grâce à la monoculture, aux intrants chimiques et à l’accaparement des terres.
Les conséquences sont tout aussi claires : forêts rasées, sols détruits, rivières polluées, biodiversité perdue, communautés empoisonnées, travailleurs exploités et peuples autochtones déplacés.
L’agro-industrie n’est pas un système défaillant. Elle fonctionne exactement comme prévu, c’est-à-dire en transformant la vie en profit.
Connaissances
Les résultats sont désastreux : plus de deux milliards de personnes souffrent d’insécurité alimentaire modérée à grave malgré une production record, jusqu’à 40 % des aliments sont perdus ou gaspillés, et les communautés rurales continuent d’être spoliées et victimes de violences de la part des entreprises agroalimentaires.
Tout cela pousse les communautés encore plus vers le front de la crise climatique. La nourriture est devenue un lieu d’accumulation pour les entreprises, plutôt qu’une source de vie pour les populations.
L’industrie des combustibles fossiles se comporte de manière similaire, issue du même système extractif et exploiteur qui méprise la vie.
La souveraineté alimentaire offre cependant une alternative systémique. En relocalisant les systèmes alimentaires, les chaînes d’approvisionnement sont raccourcies et les émissions réduites.
En plaçant les paysans et les peuples autochtones au centre en tant que détenteurs de connaissances, elle protège les semences, les forêts et les plans d’eau.
Démanteler
En rejetant la financiarisation de la nature, il défend les biens communs contre les marchés spéculatifs. Et cela est déjà mis en pratique par les petits exploitants agricoles, les peuples autochtones et les femmes qui fournissent entre 70 et 80 % de l’alimentation mondiale.
Pourtant, ces communautés sont systématiquement exclues de l’élaboration des politiques et des marchés. Des décennies de politiques néolibérales ont concentré le pouvoir entre les mains de quelques multinationales, ce qui a créé un déséquilibre flagrant.
Les travailleurs ruraux sont confrontés à des conditions de travail informelles et précaires, avec peu de protection sociale, comme l’a brutalement révélé la pandémie de Covid-19. Les défenseurs de la terre sont criminalisés, menacés et assassinés.
Et tandis que les entreprises masquent leur destruction derrière des discours sur la « durabilité », elles promeuvent de fausses solutions à la crise climatique telles que la géo-ingénierie, les marchés du carbone et « l’agriculture intelligente face au climat ».
En tant que mouvements frères, les mouvements pour la souveraineté alimentaire et la justice climatique insistent pour que nous démantelions ce pouvoir des entreprises. Cela implique une réforme agraire intégrale, l’annulation de la dette et des réparations pour les dommages historiques.
Intersectionnalité
Cela signifie rejeter une « transition verte » qui maintient les inégalités intactes, se contentant de remplacer les combustibles fossiles par des énergies renouvelables tout en laissant des millions de personnes sans accès à l’énergie et en maintenant le système alimentaire sous le contrôle des entreprises. La justice climatique exige non seulement des changements techniques, mais aussi une transformation systémique.
À l’approche des négociations des Nations unies sur le climat (COP30) à Belém, au Brésil, les enjeux ne pourraient être plus importants. Les négociations officielles restent dominées par plusieurs gouvernements peu disposés à s’opposer au pouvoir des entreprises et par des entreprises désireuses de se donner une image écologique.
Parallèlement, cependant, le Sommet des peuples, organisé avec près de 900 mouvements et organisations sociaux et environnementaux, mettra en avant et amplifiera les voix de la base et les solutions concrètes.
À Nyéléni, les mouvements approfondiront le cadre de la souveraineté alimentaire, en soulignant l’intersectionnalité du mouvement, en s’attaquant aux fausses solutions, en s’opposant à l’utilisation de la nourriture et de la faim comme armes de guerre, et plus encore.
Choix
Les véritables leaders de ces mouvements sont en première ligne. Ce sont les peuples et les communautés autochtones qui résistent aux projets pétroliers et miniers qui menacent leur santé, leur bien-être et leurs terres.
Ce sont les paysans et les pêcheurs qui défendent leurs terres et leurs mers contre l’exploitation minière. Ce sont les féministes de base qui construisent des économies solidaires. Dans tous ces mouvements, leurs luttes sont visionnaires.
La souveraineté alimentaire nous enseigne que la justice climatique ne peut être imposée par le haut, mais doit être construite par le bas. C’est le nom que nous donnons à la résistance contre la dépossession et à la revendication de la vie plutôt que du profit.
De Nyéléni à la COP30 et au Sommet des peuples, le choix est clair : soit les élites et les entreprises dictent notre avenir, soit nous continuons à construire, à travers les mouvements, contre le système actuel, un monde où la souveraineté alimentaire et la justice climatique sont une réalité.
Cette autrice
Kirtana Chandrasekaran est coordinatrice du programme international sur la justice climatique et l’énergie chez Friends of the Earth International. Elle lutte depuis plus de dix ans pour la souveraineté alimentaire et la justice climatique en Inde, au Royaume-Uni et en Europe.