
L’association CDP-Enfance vient de porter plainte contre la collectivité pour mise en danger de la vie d’autrui. Lily, 15 ans, placée dans une chambre d’hôtel par l’aide sociale à l’enfance, y avait mis fin à ses jours en janvier 2024. Sa mort avait rouvert le débat sur les faillites de l’ASE.
Son histoire pourrait se résumer en un mot : abandon. Le 25 janvier 2024, Lily*, 15 ans, a été retrouvée pendue dans la chambre d’hôtel où l’avait placée l’aide sociale à l’enfance (ASE) du Puy-de-Dôme. Comme elle, une vingtaine d’autres adolescent·es croupissaient alors à Lou Tassou, un établissement hôtelier de la banlieue de Clermont-Ferrand transformé en foyer pour des mineur·es confié·es aux services du département.
Dans sa plainte, que nous avons consultée, CDP-Enfance souligne que le placement à l’hôtel ne répond pas aux besoins fondamentaux des enfants confié·es à l’ASE. En l’espèce, Lily « n’avait pour seul[s] adulte[s] référent[s] sur place que le gérant et le veilleur de nuit qui ne disposent d’aucune formation pour s’occuper de jeunes en difficulté », note l’association. À l’annonce de la mort de l’adolescente, les professionnel·les sollicité·es par Mediapart étaient unanimes : « aucun personnel éducatif » ne se trouvait à Lou Tassou.
Un centre d’hébergement non habilité (...)
Ce flou juridique n’entoure pas seulement le placement de Lily. Mediapart a ainsi retrouvé la trace de deux marchés publics passés en 2020 par le département du Puy-de-Dôme pour des « hébergements et services associés des enfants confiés à l’aide sociale à l’enfance ». Les sommes affichées sont colossales : « Valeur totale du marché/du lot : 811 467,00 EUR » pour l’un ; « 866 987,00 EUR » pour l’autre. Le premier a été remporté par un hôtel de Clermont-Ferrand. Le second a été attribué à Lou Tassou. (...)
Or, l’accueil d’enfants placé·es ne peut se faire via un simple marché public, relève CDP-Enfance, qui détaille la procédure d’agrément à laquelle doivent se soumettre les établissements. Et l’association insiste : « Toute ouverture, création d’un lieu d’accueil sans autorisation de l’autorité administrative compétente est constitutive d’une infraction pénale. »
CDP-Enfance a donc déposé, en plus de sa plainte, une requête devant le tribunal administratif pour que soit déclaré illégal le placement de Lily.
Pour Michèle Créoff, ancienne inspectrice de l’ASE et administratrice de CDP-Enfance, cette affaire dénote « un mépris total de la loi » par les départements. Ces collectivités en charge de l’ASE « ne respectent aucune réglementation et aucun texte qui sont censés encadrer leur activité, estime cette juriste. On est face à un déni démocratique incroyable ». (...)
L’État mis en cause
Par-delà l’unique responsabilité du département, CDP-Enfance souhaite faire condamner l’État, dont les défaillances auraient conduit à la mort de Lily. C’est l’objet de la troisième procédure entreprise par l’association : ce qui se nomme, en droit, une assignation pour « faute lourde ».
Au moment de la mort de l’adolescente, cela faisait deux ans qu’une loi avait été votée pour encadrer les placements à l’hôtel. Le texte prévoyait notamment que le recours à ce type d’hébergement ne pouvait excéder deux mois et ne devait concerner que les mineur·es âgé·es de 16 ans ou plus. Lily avait seulement 15 ans, et elle était demeurée cinq mois dans cette chambre avant de s’y suicider.
CDP-Enfance note enfin que « l’État n’a pas pris de mesures raisonnables pour éviter le risque de suicide » de l’adolescente. Peu avant sa mort, tous les voyants clignotaient au rouge vif : elle multipliait les fugues, elle présentait des traces de coups attribués à son petit ami, et les services sociaux craignaient qu’elle ne soit victime de proxénétisme.