Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
La Brèche
Surproduction et concentration dans l’édition : la « bibliodiversité » en danger
#edition #livres #culture
Article mis en ligne le 14 décembre 2025
dernière modification le 12 décembre 2025

En 2024, les éditeurs ont publié 65 000 nouveaux titres, soit 12 000 de plus qu’en 2004. Une surproduction qui n’amène pas plus de diversité. Au contraire, la course aux ventes pousse à l’uniformisation et la concentration des éditeurs dans de grands groupes sature le marché. Jusqu’à mettre en péril la pluralité ?

Le dernier prix Goncourt, un énième livre introspectif d’Emmanuel Carrère, le roman annuel d’Amélie Notomb et une pile du chouchou du moment, Cédric Sapin-Defour. Si vous êtes entré dans une librairie ces derniers mois, vous avez forcément vu ces ouvrages. Comme vous en avez sûrement entendu parler dans les médias, sur les réseaux sociaux, voire, sur une pub dans les transports en commun. Des nouveaux titres, il y en a eu pourtant plus de 65 000 en 2024, soit 12 000 de plus qu’il y a 20 ans, d’après l’Observatoire de l’économie du livre. De quoi rester circonspect face au mimétisme provocateur des librairies, la logique réclamant : plus de livres pour plus de diversité. « Se dire que la surproduction amène de la variété est un piège, s’exclame Mathilde Charrier, libraire au Rideau rouge, à Paris, au contraire, elle met en danger la bibliodiversité. » À l’image de la prédation des petites exploitations agricoles par la monoculture, la pluralité de l’édition est en perdition. (...)

Selon une étude réalisée par l’Observatoire de la librairie en 2022, 77 % des ventes en valeur concernent 11 % des références. Cette année-là, les 10 000 meilleures ventes représentent à elles seules 45 % du chiffre d’affaires. (...)

Une diversité en trompe-l’œil

Premier groupe éditorial en France, la maison quasi bi-centenaire est suivie par Editis, Média Participation, Madrigall et Albin Michel, les cinq géants se partageant 75 % du chiffre d’affaires du secteur. « L’absorption de nombreuses maisons d’édition par des groupes donne une impression de diversité sur les tables des librairies alors que, souvent, elles appartiennent toutes à la même entreprise, décrypte Emmanuel Vacher, représentant aux Belles Lettres, or, ces groupes n’ont pas dans leur ADN de prendre des risques éditoriaux », complète-t-il. (...)

Outre-Atlantique, la concentration du secteur aux mains des industriels assume pleinement de guider les choix de publication. « Les livres sont choisis selon une opinion de marché et leur best sellerisation ressemble beaucoup à une prophétie autoréalisatrice », décrit Benjamin Guérif. Éditeur chez Gallmeister, il a récemment été marqué par un échange avec des agents d’auteurs américains : « Ils m’affirmaient que tel ou tel livre était super et quand je leur demandais pourquoi il n’était pas publié aux États-Unis, ils me répondaient : car le sexe du héros n’est pas dans la tendance ! ». Résultat : les titres se ressemblent et les ventes se concentrent. (...)

Au premier semestre 2025, le chiffre d’affaires de toutes les librairies françaises était en baisse. « On doit être prudent et regarder les chiffres avant de commander des livres », argue-t-il. D’autres comme les grandes surfaces, telles que Cultura, succombent aux sirènes de la politique de la rentabilité. Faute d’un tirage important, le livre y est relégué dans un coin de rayon, puis retourné sans avoir eu la chance de rencontrer son lecteur. « Cette valorisation de la quantité au détriment de la qualité s’observe aussi en sens inverse, indique Mathilde Charrier. Les représentants d’Hachette, par exemple, ne se déplacent pas dans notre librairie car nous ne sommes pas intéressants pour eux. » Maillon essentiel, le représentant est celui qui défend les titres d’un éditeur auprès d’un point de vente. (...)

« Ces représentants insistent sur l’adaptation Netflix de l’histoire ou sur le nombre d’abonnés TikTok de l’auteur pour montrer l’écho médiatique mais ne parlent pas du contenu du livre. » (...)

« Et pour ceux qui n’ont pas les moyens ? », s’inquiète l’éditeur qui publie à la rentrée le second ouvrage de la philosophe Anne Alombert. Intitulé De la bêtise artificielle, l’ouvrage explore les enjeux des nouvelles machines d’écriture numériques comme Chat GPT et met en garde sur l’élimination des singularités que ces dernières pourraient provoquer. Un nouveau danger pour la bibliodiversité dont l’affaiblissement n’est peut-être qu’un début.