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Surveillance, greenwashing : le mirage écologique d’une ville « intelligente »
#CoreeduSud #villeIntelligente #greenwashing #surveillance
Article mis en ligne le 8 août 2025
dernière modification le 6 août 2025

La ville sud-coréenne de Songdo incarne une promesse « verte » contestée, une écologie de façade au prix de caméras omniprésentes, capteurs et maisons connectées.

On s’attendrait presque à n’y voir circuler en silence que quelques voitures électriques. Or, à Songdo, les gratte-ciel étincelants, les façades vitrées et les courbes métalliques futuristes captent d’abord le regard. Au cœur de ce district d’Incheon, sur la côte nord-ouest de la Corée du Sud, serpente un canal relié à la mer Jaune. Sortie de l’eau en à peine vingt ans, Songdo a été bâtie sur des terres artificielles gagnées sur la mer. (...)

Certains immeubles affichent fièrement leur certification Leadership in Energy and Environmental Design (Leed), un label qui garantit le respect de normes de conception durable et d’efficacité énergétique. Une promesse accueillie avec scepticisme par Cha Chungha, cofondateur de Re-Imagining Cities, une ONG de conseils sur le développement de « smart cities » : « La plupart des bâtiments qui sont “Leed” passent tout juste le plus bas niveau de certification. Bien sûr, ce n’est pas cela qui est mis en avant. »

La ville est équipée d’un système souterrain de gestion des déchets, présenté comme innovant lors de son installation : « Les citoyens de la résidence possèdent une carte, qui leur ouvre l’accès aux conteneurs. Les déchets sont ensuite aspirés sous terre, puis envoyés vers des centres de tri situés en dehors de la ville, mais le système est défaillant. Cela provoque régulièrement l’apparition de tas d’ordures dans les rues. Les tunnels souterrains, prévus pour faciliter la logistique, ont aussi favorisé la prolifération de nuisibles », détaille Suzanne Peyrard. (...)

De plus, l’accès à ces conteneurs « smart » est inégal suivant les résidences (...)

« Bien que le système de déchets souterrains soit technologiquement avancé, la plupart des habitants n’y ont plus accès et certains le remettent en question, le considérant comme un projet coûteux dans une ville où d’autres services essentiels, comme les transports publics, semblent sous-développés » (...)

Quant à l’image écologique de la ville, où siège le Fonds vert pour le climat de l’Organisation des Nations unies (ONU) depuis 2013, Richard, un Canadien habitant Songdo depuis trois ans, n’est pas dupe : « C’est assez ironique puisque la ville a été construite sur des terres asséchées. »

Si quelques panneaux solaires, des pistes cyclables et certains toits végétalisés sont bien visibles, « l’empreinte de Songdo reste importante en raison de sa dépendance à l’égard des voitures individuelles, de la forte consommation d’énergie de ses bâtiments et du coût environnemental de la remise en état des terres sur lesquelles elle a été construite », précise Dakota McCarty. Sans compter les « immenses parkings et les larges avenues à plusieurs voies qui donnent la priorité à la circulation automobile », ajoute le professeur. (...)

En face du musée de l’histoire urbaine d’Incheon, à l’angle d’un arrêt de bus, un écran indique la position du car en temps réel, mais aussi la température, 36 °C, et la qualité de l’air, bien que cet indicatif soit en panne (mesuré à 0 µg/m³). Plus étonnant, le panneau affiche la fréquentation du bus en question, de « peu fréquenté » à « normal », et va jusqu’à renseigner les passagers sur le nombre de sièges encore disponibles.

La version considérée comme la plus intelligente de ces arrêts de bus est close, chauffée en hiver, climatisée en été et, au besoin, recharge sans fil votre smartphone. Cette technologie, comme toutes les autres, est promue par l’ISCC. Pourtant, après avoir sillonné en bus une partie des 600 hectares du district, aucune trace de ces arrêts intelligents. Les agents de l’office du tourisme lèveront le mystère : il n’en existe que quatre.
Contrôle des espaces publics et privés

À quelques pas de l’institution se dresse l’imposante G-Tower. Les visiteurs peuvent avoir un aperçu des services intelligents développés dans la ville. Après une présentation et la projection d’une courte vidéo promotionnelle, le public est invité à se placer debout devant l’écran. L’effet de surprise ne tarde pas : l’écran est en réalité une immense baie vitrée qui surplombe une salle de contrôle plongée dans la pénombre. Seules les lueurs des écrans s’y détachent, diffusant en temps réel les images captées par des milliers de caméras disséminées dans toute la ville.

Installés derrière les rangées de bureaux qui y font face, les employés se relaient 24 h/24 pour analyser ces informations. Chaque plaque d’immatriculation entrant et sortant de Songdo est scannée. Un véhicule qui mordrait sur un passage piéton sera identifié. (...)

« Le contexte géopolitique — la guerre toujours en suspens avec la Corée du Nord — oblige le pays à stocker ses données à l’intérieur de son territoire. Pourtant, cela coexiste avec des pratiques très intrusives dans les espaces semi-privés. Lorsqu’on habite dans une résidence, on peut consulter toutes les caméras des parties communes », développe Suzanne Peyrard, qui a habité le district pendant un an et demi.

Et la chercheuse d’ajouter : « Une partie des caméras de la ville est factice ou non connectée, et la reconnaissance faciale n’est pas systématiquement activée. Finalement, la question de la surveillance est souvent posée à travers un prisme français. En Corée du Sud, la présence de caméras est largement acceptée, voire considérée comme neutre. »