La célèbre troupe est visée par une enquête de la brigade de protection des mineurs de Paris. Deux comédiens, qui nient les faits, sont accusés d’y avoir agressé sexuellement des jeunes filles et des femmes pendant au moins quinze ans, selon une enquête de Mediapart. Son emblématique directrice, Ariane Mnouchkine, reconnaît avoir été informée d’accusations dès 2023.
(...) Le 24 mars, Agathe Pujol, 32 ans, avait livré, sous serment, le récit accablant de ses années de « bénévolat » au théâtre – deux ans de « travail gratuit » au bar, à la cuisine ou en coulisses, alors qu’elle était lycéenne et rêvait de devenir comédienne, entre 2010 et 2012. « J’y ai appris les messes basses, les manipulations constantes, le “diviser pour mieux régner”, les addictions diverses, la sexualité imposée », avait énuméré la jeune femme, par ailleurs plaignante dans l’enquête judiciaire visant le comédien Philippe Caubère, pilier du Soleil dans les années 1970, mis en examen pour viols sur mineures notamment.
Paroxysme d’« une pression sexuelle constante », Agathe Pujol avait dénoncé face aux député·es « une tentative de viol » lors du réveillon du 31 décembre 2010, alors qu’elle était mineure et ivre. (...)
Quelques semaines plus tard, la commission d’enquête parlementaire sur les violences dans le secteur artistique, puis le ministère de la culture, qui subventionne le théâtre, ont adressé des signalements au parquet de Paris, portant sur des faits de violences sexuelles et comportant plusieurs témoignages écrits, selon les informations de Mediapart. « Le signalement a été confié à la brigade de protection des mineurs au début de l’été 2025 », a indiqué le parquet. De premières auditions sont prévues pour décembre, selon nos informations.
Agathe Pujol est-elle un cas isolé ? Au cours de plusieurs semaines d’enquête, Mediapart a pu rassembler et recouper les témoignages de huit personnes, ex-salariées ou bénévoles du théâtre, qui dénoncent des violences sexuelles allant du harcèlement au viol, pour trois d’entre elles. Certaines étaient mineures au moment des faits, qui se seraient déroulés entre 2010 et 2025. Toutes désignent deux hommes : Sébastien Brottet-Michel, présenté comme le « protégé » voire le « bras droit » d’Ariane Mnouchkine, et Farid Gul Ahmad. (...)
Ariane Mnouchkine, qui nous a accordé un long entretien (lire notre boîte noire), reconnaît avoir été informée de premières accusations visant Sébastien Brottet-Michel en 2023. Elle dit « regretter d’avoir réagi trop tard », mais estime avoir été « dupée » et réfute tout « côté systémique ».
En tant qu’employeuse, elle affirme avoir elle-même transmis à la justice environ soixante-cinq témoignages recueillis dans le cadre d’une « enquête interne », dont plusieurs mettent en cause les deux comédiens, et précise avoir nommé dix « référents » harcèlement, qui ont été formés.
Aux yeux des seize membres et anciens membres du Soleil que nous avons interrogés, les hommes mis en cause au fil des ans ont bénéficié de l’indulgence voire de la protection d’un système délétère, régi depuis plus de soixante ans par la toute-puissante metteuse en scène. (...)
Ariane Mnouchkine, qui nous a accordé un long entretien (lire notre boîte noire), reconnaît avoir été informée de premières accusations visant Sébastien Brottet-Michel en 2023. Elle dit « regretter d’avoir réagi trop tard », mais estime avoir été « dupée » et réfute tout « côté systémique ».
En tant qu’employeuse, elle affirme avoir elle-même transmis à la justice environ soixante-cinq témoignages recueillis dans le cadre d’une « enquête interne », dont plusieurs mettent en cause les deux comédiens, et précise avoir nommé dix « référents » harcèlement, qui ont été formés.
Aux yeux des seize membres et anciens membres du Soleil que nous avons interrogés, les hommes mis en cause au fil des ans ont bénéficié de l’indulgence voire de la protection d’un système délétère, régi depuis plus de soixante ans par la toute-puissante metteuse en scène. (...)
Un comédien présent ces années-là se souvient très bien des adolescentes. « Ces filles-là sont venues par amour du théâtre, il aurait fallu les prendre sous nos ailes et les protéger. Au lieu de ça, des comédiens en ont profité. Ce qu’a décrit Agathe Pujol lors de son audition, je ne peux pas mieux le décrire », dit-il, affirmant avoir vu Julie « essayer de résister ». En vain.
Les acteurs mis en cause « jouissaient d’une totale confiance auprès d’Ariane et il était impossible de l’atteindre pour les dénoncer », regrette-t-il, tout en précisant qu’« [il] n’[a] aucun compte à régler avec le Théâtre du Soleil », « où il y a eu de la joie, et beaucoup de beauté aussi ». (...)
Informée par Mediapart de la nature des témoignages des « lycéennes », outre celui d’Agathe Pujol, dont elle a parlé en des termes très violents (lire l’encadré), Ariane Mnouchkine semble abasourdie : « Je reste dans l’incompréhension qu’elles n’aient pas prévenu quelqu’un. Si seulement elles avaient eu le réflexe d’envoyer une bonne claque, ou au moins de répondre ! »
Début juillet, une des anciennes bénévoles a adressé un signalement à la Mission interministérielle de lutte contre les dérives sectaires (Milivudes), que Mediapart a pu consulter. Elle dénonce, dans cette alerte en cours de traitement, « un système d’emprise, de précarité organisée, de violence tue ». Mais aussi un lieu d’exploitation des vulnérabilités, dominé par une « hiérarchie organisée » via du favoritisme, où règne une « atmosphère de paranoïa », une « valorisation de la brutalité », des identités « gommées », une absence d’intimité. Qui, in fine, « brisent des vies ».
« Lunaire », répond une Ariane Mnouchkine « coite ». « C’est toute la tentative de fonctionnement solidaire du Théâtre du Soleil, qui a fait son travail de collectivité humaine en accueillant des gens venus d’Algérie, du Cambodge ou d’Afghanistan, ou des familles monoparentales sans logement », lâche-t-elle. (...)