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"Tous les matins, je passe une heure à chercher sa trace" : une retraitée française à la recherche de son "petit-fils de cœur" disparu sur la route des Canaries
#Canaries #migrants #immigration #noyades #disparitions
Article mis en ligne le 19 juillet 2025
dernière modification le 16 juillet 2025

Françoise Palissier, une retraitée de 76 ans résidant en Charente-Maritime, s’est liée d’affection pour Makan Keita, un jeune Malien pris en charge par le département. Il devient au fil des mois son "petit-fils de cœur". Mais en 2022, le jeune homme, devenu majeur, est expulsé de France vers Bamako. Ils gardent contact jusqu’en décembre dernier. Depuis, Makan n’a plus donné signe de vie. Il avait rejoint la Mauritanie dans le but d’atteindre les Canaries espagnoles via l’Atlantique, puis retourner en France. La retraitée se dit désemparée. Témoignage.

En 2020, Françoise Palissier, une veuve retraitée résidante de Charente-Maritime, fait la connaissance de Makan Keita, un jeune Malien. Ce dernier est chargé de repeindre les extérieurs de sa maison, via une entreprise de la région. Makan Keita, reconnu mineur par le département, est alors en CAP : il suit des cours à Saintes, et travaille en alternance pour une société de Royan.

"Quand je l’ai vu arriver la première fois, Makan était tout timide. Il ne parlait pas bien français et avait beaucoup de mal à s’exprimer.

J’ai eu immédiatement un coup de cœur pour ce ‘gamin’, ça ne se commande pas, c’est comme ça.

À la fin du chantier, je lui avais préparé une enveloppe avec quelques pièces dedans pour le remercier de son travail et de sa gentillesse. Il était à l’école, son chef de chantier lui a remis l’enveloppe un peu plus tard.

Quelques semaines après, Makan est revenu chez moi pour me remercier. C’était un enfant intéressant et je me suis dit qu’il fallait s’occuper de lui.

Dès lors, on a tissé de véritables liens. Il venait souvent me voir, le dimanche, il m’apportait son linge et nous passions des heures à discuter dans un français bancal.

Je n’ai jamais posé de questions sur son parcours. Il évoquait son passé quand il en avait envie, et au fur et à mesure il a eu besoin de se confier. Il m’a notamment raconté son séjour en Libye, émaillé de violences.

Au fil des mois, il parlait de mieux en mieux français – grâce aux cours délivrés par l’association qui l’a pris en charge - et avait pris de l’assurance.

Pendant près de deux ans, notre relation a continué à évoluer et il est devenu mon petit-fils de cœur. Il était heureux en France, il s’était fait plein d’amis au centre pour mineurs dans lequel il avait été hébergé à son arrivée. Il allait à l’école et travaillait en alternance dans une entreprise de peinture. Il était très bien intégré dans la région.
Expulsion vers le Mali

Mais début 2022, les ennuis ont commencé. En février, Makan a reçu une Obligation de quitter le territoire français (OQTF). Quelques mois plus tard, il a donc perdu ses droits aux allocations sociales (...)

J’ai pu le voir une dernière fois au commissariat. Il était très stressé, j’ai essayé de le soutenir comme je pouvais. Mais le lendemain, il a été expulsé vers Bamako. Heureusement que je lui avais apporté des habits chauds car il a pris l’avion vers 5h du matin, il fait froid à cette heure-là.

"Son objectif était toujours de revenir en France"

J’ai gardé contact avec lui depuis le Mali. On se donnait des nouvelles tous les jours (...)

Comme je savais qu’il était dans le besoin, je lui envoyais un peu d’argent régulièrement. Il ne voulait pas mais j’ai insisté. Il a ouvert un magasin de vêtements à Bamako mais son objectif était toujours de revenir en France. (...)

Le 9 décembre, il m’a laissé une note vocale sur Whatsapp pour me dire qu’il allait acheter des gilets de sauvetage. C’est la dernière fois que j’ai eu de ses nouvelles.

Depuis, tous les matins je passe une heure à chercher sa trace sur internet. Je regarde si des bateaux sont partis ce jour-là de Mauritanie, s’il y a eu un naufrage… je regarde sur les réseaux sociaux des photos où je pourrais l’apercevoir, comme à Rosso par exemple.

Depuis le début de l’année, face à l’augmentation des départs vers les Canaries, la Mauritanie mène une politique migratoire répressive : de vastes opérations sont menées pour arrêter les migrants en situation irrégulière. Ces derniers mois, des centaines d’entre eux ont été envoyés à Rosso, une ville frontalière avec le Sénégal où ils vivent dans le plus grand dénuement.

Je ne veux pas penser qu’il a disparu. Toutes ses affaires sont encore dans sa chambre, chez moi. Je l’avais adopté ce garçon.

On est tous inquiets ici. L’un de ses amis m’a dit l’autre jour qu’il avait rêvé à trois reprises de Makan et que ça voulait dire qu’il était vivant. J’ai envie d’y croire."